Une conception émancipatrice de l’éducation qui respecte la différence, fondée sur des valeurs de justice, de paix et de durabilité, par Manuela Mesa Peinado
Le Forum mondial de l’éducation est né en 2002 au sein du Forum social mondial. Son objectif est de construire un espace propre dans le domaine de l’éducation qui permette d’articuler les champs de la pédagogie, du social, de l’environnemental et du culturel. De plus, un programme de revendications a été élaboré autour de la lutte pour l’universalisation de l’éducation publique en tant que droit pour tous les habitants de la planète, particulièrement des secteurs les plus pauvres et opprimés. A la base se trouve une conception émancipatrice de l’éducation qui respecte la différence, fondée sur des valeurs de justice, de paix et de durabilité ; une éducation que l’Etat a la responsabilité de pourvoir.
Dans son édition de janvier 2009, le Forum mondial de l’éducation a été caractérisé par une forte présence brésilienne, ce qui s’est révélé être très positif étant donné la longue trajectoire de ce pays en termes de propositions éducatives innovatrices et engagées avec le changement social. Le nombre de participants a largement dépassé les prévisions ; en particulier, on a pu observer une participation massive d’éducateurs et d’éducatrices venus de tout l’Etat de Pará, qui cherchaient à élargir leur formation et à prendre part à l’échange d’expériences. C’est peut-être pour cette raison qu’un certain chaos dans l’organisation s’est fait sentir tout au long du Forum et a quelque peu gâché certaines des activités programmées, particulièrement les sessions de travail de l’après-midi, au cours desquelles valoriser la participation s’est révélé tout simplement impossible à réaliser au sein de groupes de parfois plus de 400 personnes.
Cependant, les tables rondes ont été extraordinaires, d’une grande richesse et diversité. Le Forum a été initié par une session intitulée : « Education, transgression et construction de la citoyenneté planétaire », à laquelle ont participé le théologien Leonardo Boff, la sénatrice Marina Silva, ainsi que Moacir Gadotti de l’Institut Paulo Freire. « La crise est positive parce qu’elle nous force à chercher des alternatives qui incluent toutes les personnes » a affirmé avec conviction Leonardo Boff. « C’est le moment des personnes », a-t-il poursuivi, en avançant la nécessité de transformer les processus éducatifs en processus transformateurs afin de créer un nouveau monde digne des êtres humains, au sein duquel on puisse apprendre à vivre avec les différences. « Il faut apprendre à interagir avec la diversité, apprendre à être tolérants avec les contradictions ». « La raison intellectuelle n’est pas suffisante, elle doit se voir complétée par la raison du cœur, l’intelligence émotionnelle qui aide à se mettre à la place de l’autre » a-t-il souligné en diverses occasions, maintenant à tout moment son style didactique et familier qui est non seulement convaincant, mais également émouvant. « Nous naissons pour briller, c’est pourquoi nous devons donner des possibilités à tous les êtres humains. Nous avons été créés pour rayonner, pour créer de la vie, et c’est dans ce sens que l’éducation doit contribuer à nous rendre plus humains ».
« La véritable transgression est qu’un autre monde est possible », a affirmé Moacir Gadotti de l’institut Paulo Freire, une organisation qui joue un rôle très important dans l’organisation du Forum mondial de l’éducation. « Nous devons penser à une éducation engagée vis-à-vis des nécessités humaines, une éducation créative, capable de transgresser un ordre social injuste, capable de contribuer à la construction d’alternatives » a affirmé Marina da Silva. « La transgression positive est de désapprendre pour apprendre à faire les choses d’une autre façon. Nous avons besoin de nouvelles réponses aux problèmes actuels. L’éducation doit participer également à ce processus », a-t-elle dit sous les applaudissements du public.
« Il est important que l’éducation surpasse les processus de la mémoire pour devenir un processus créatif, innovateur, de renouvellement d’espoir, capable de générer des rêves et des projets ». Et elle a achevé sa conférence en disant : « Il s’agit de transgresser ce qui doit être transgressé et d’établir ce qui doit être établi. La confluence de savoirs qui combinent tradition et modernité, et la culture de la co-responsabilité, sont des principes qui doivent guider la pratique éducative ». Suite à la table ronde, des activités informelles se sont déroulées dans différents endroits, l’élaboration de pancartes, un petit marché de matériel éducatif, ainsi que de longues files pour s’inscrire aux ateliers de l’après-midi.
La seconde table ronde, intitulée « Education, dialogue et utopie : identités et interculturalité », incluait la participation de Carlos Rodriguez Brandao et Cristina Vargas du Mouvement des paysans sans terre, et de Rosany Fernandes, représentant les organisations indigènes. Les intervenants se sont rejoints sur le fait que l’éducation se doit de former de manière inclusive, en récupérant l’expérience de vie, en considérant la personne comme une source de savoir. Il est nécessaire de réapprendre les enseignements des traditions.
La pensée de Paulo Freire a été très présente durant le Forum et en particulier une de ses idées en relation au changement. « Enseigner, c’est la conviction que le changement est possible ». C’est ainsi que l’a compris Cristina Vargas qui a présenté les défis éducatifs du Mouvement des sans terre. « Le dialogue n’est pas une option, c’est une nécessité. » a-t-elle affirmé fermement. « Le mouvement éduque des personnes en processus de lutte, qui ont un vécu collectif. L’école doit incorporer les contradictions et être liée à la terre » a-t-elle poursuivi. Pour conclure son intervention, elle souligne que « l’éducation ne peut être conciliante avec les problèmes qui excluent les gens », et donne ainsi la parole a Rosany Fernándes, une femme indigène qui a appris le portugais pour défendre les droits des peuples indigènes. Celle-ci a commencé sa conférence en dénonçant la manière dont l’Etat brésilien a nié l’identité de plus de mille peuples indigènes existant dans son pays. Comme il existe encore aujourd’hui une forte méconnaissance de la question des indigènes, qui se réduit à la célébration du « jour de l’indien », action purement anecdotique et ponctuelle. Elle a ensuite revendiqué une éducation qui reconnaisse les moyens propres d’apprentissage, qui incorpore les savoirs traditionnels et indigènes et qui valorise ceux-ci comme faisant partie de la culture. Son intervention a permis d’entrevoir le long chemin qui reste encore à parcourir dans le domaine de l’éducation, pour réellement incorporer la diversité des cultures et des manières de faire, comme celle des peuples indigènes aux processus d’apprentissage et de construction de savoirs.
Le Forum mondial de l’éducation 2009 s’est conclu par les préparatifs et les actions qui ont donné lieu a la grande marche initiatrice du Forum social mondial, au sein duquel les débats sur l’éducation se sont poursuivis sous d’autres formes.
Manuela Mesa est la directrice de Ceipaz-Fundación Cultura de paz à Madrid.
Traduction d’Antonia de la Fuente.