Propos de Daniel Pascual recueillis par Antonio de la Fuente
Daniel Pascual, vous êtes dirigeant du Comité d’unité paysanne de Guatemala, CUC. Pouvez-vous choisir trois moments significatifs de votre parcours de vie et nous les décrire ?
Dans le premier moment, mes parents n’étaient pas encore nés. Mes grands-parents paternels et maternels ont tous été des migrants en quête de terre, et fuyant le travail forcé. Ils ont quitté le haut plateau central du Guatemala et descendu vers la côte sud du pays où il y avait des plantations de canne à sucre qui cherchaient de la main d’oeuvre. Les deux familles se sont retrouvées dans cette circonstance et j’ai pu voir le jour grâce à cela.
Mes grands parente étaient des bergers, des tisserands, des cultivateurs. Ils ont quitté la région la plus froide du Guatemala pour aller travailler dans la plus chaude. Le propriétaire terrien leur cédait un petit lopin de terre où ils pouvaient cultiver et de cette façon ils les enchaînait à lui. Il les obligeait à lui faire à manger, à couper du bois pour lui. C’était des conditions proches de l’esclavage. Mon père a appris à lire lorsqu’il a fait le service militaire. Ce qu’il y a appris lui a permis de quitter ces conditions.
Deuxième moment : mon père, fatigué de travailler pour rien, a dû émigrer aux Etats-Unis, comme espalda mojada (dos mouillé). C’est ma mère qui a dû nous élever. Mon père a été parmi les premiers indigènes à émigrer. Il lui a fallu emprunter 12 mille dollars pour payer le voyage. C’est un montant énorme pour quelqu’un qui vit dans la pauvreté.
Enfant, j’allais vendre des mangues vertes piquantes à cinq sous sur les marchés. Mes frères ciraient des chaussures en ville et gardaient des troupeaux à la campagne. Mon père a trouvé du travail dans le sud des Etats-Unis et notre situation s’est améliorée. Il a pu rembourser la dette et nous avons pu construire une maison.
Six ans plus tard son départ, un terrible tremblement de terre a secoué le Guatemala. 25 mille personnes sont mortes et des centaines de milliers des gens ont tout perdu. Suite à cette catastrophe, mon père est revenu. Nous voulions le connaître, nous ressentions son absence, il nous manquait.
Après son retour, mon père a rejoint la guérilla et nous avons vécu de nouveau la pauvreté et la discrimination. Tous mes grands frères ont rejoint la guérilla. Comme j’étais le cadet, j’ai pu rester auprès de ma mère et entrer dans le Comité d’unité paysanne, CUC.
Le troisième moment a donc une date, le 15 avril 1978, au moment de la création du Comité d’unité paysanne. Au début, ce fut un travail dans la clandestinité au sein des unions paysannes, qui étaient actives depuis les années soixante. La motivation était de lutter contre la pauvreté et les conditions proches de l’esclavage que subissaient les paysans. Dans les années quatre-vingt, l’armée guatémaltèque a combattu le mouvement paysan par les armes. Cette guerre a duré jusqu’en 1996 et a fait plus de 200 mille victimes.
Le CUC est une organisation indigène et paysanne de petits producteurs, de salariés agricoles et de paysans sans terre qui visent l’accès à la terre et à la production agricole. Le CUC prône le changement social à échelle nationale, la transformation de la réalité du Guatemala dans son ensemble, à travers la revendication de nos droits en tant que citoyens et en acquérant des instruments pour exiger ces droits.
La question de l’accès à la terre est notre axe de travail principal, dans un pays où la concentration des terres aux mains de grands propriétaires est impressionnante : en effet, 3% de la population détiennent 72% des terres cultivables, tandis que la majeure partie des guatémaltèques vit dans la pauvrété. Au Guatemala, lutter pour la terre est risqué, le pouvoir n’hésitant pas à user de la force pour réprimer les paysans.
Le CUC a fournit un apport considérable dans la négociation des accords de paix qui ont mis fin à la guerre civile dans les années nonante. Le père de Rigoberta Menchú, Prix Nobel de la paix en 1992, fut un des fondateurs du CUC.
Au sein du CUC j’ai retrouvé beaucoup de dignité. Je m’identifie pleinement à sa devise : Tête claire, cœur solidaire et poigne combative pour arracher les injustices à la racine.