La formation doit provoquer une rupture tout en réduisant les résistances créées par ce déséquilibre, par Adélie Miguel Sierra, sur base d’une recherche réalisée par Corinne Mommen, Annick Honorez, Adélie Miguel Sierra et Stephane De Meyer
Ces dernières décennies, la question du changement est devenue sociale et politique. Le changement serait du coté du progrès, la résistance au changement du coté de la réaction, de l’immobilisme. Dans un tel contexte, de nombreuses institutions, au nom d’une certaine efficacité sociale, prône le changement sans s’interroger sur sa valeur propre. Le champ de la formation est chargé de porter ce changement. Or tout changement n’est pas bon en soi, toute résistance n’est pas réactionnaire. Il y a une question d’éthique : avant d’adhérer aux changements prescrits, il semble important de se questionner sur leurs valeurs, leurs impacts possibles, sur qui les impulse et à qui ils s’adressent.
Les dispositifs de formation peuvent bousculer l’identité personnelle et professionnelle, les intérêts, les valeurs, les représentations de soi et de l’autre, tout ce qui fait qu’un individu se sent en cohérence avec lui-même, se sent compétent, garde un contrôle sur ses manières de se comporter, vit un sentiment de continuité et s’estime.
En donnant un sens aux diverses expériences qu’il est amené à vivre, l’individu se forge une personnalité avec ses intérêts, ses valeurs, sa vision de la réalité. Cela va fonder son identité et son mode de relation aux autres. Face aux changements, il va donc mettre en place divers mécanismes afin de protéger :
Les mécanismes de protection sont donc des mécanismes sains qui interrogent en permanence le degré et la pertinence de pertes et de bénéfices impulsés par un dispositif de formation. Mais, les personnes sont aussi en quête de nouveaux savoirs pour mieux appréhender et s’impliquer dans leur société. Tout individu cherche donc, à la fois à maintenir son identité et à se transformer. Cela donne lieu à des mouvements de protection et des mouvements d’ouverture au changement.
On distingue généralement trois niveaux de changements en formation :
Si la formation ne propose un changement qu’au premier niveau de connaissances, il n’y a pas de réel enjeu. Il s’agit plutôt d’information que de formation. Les nouvelles informations seront facilement intégrées. Mais si la formation se propose de jouer aux autres niveaux, elle doit opérer une rupture : il ne peut y avoir continuité. Il s’agit alors de provoquer cette rupture tout en réduisant les résistances créées par ce déséquilibre.
En éducation au développement, on cherche à agir sur ces trois niveaux, avec le but que les personnes deviennent elles-mêmes des actrices de changement social.
De manière plus large que les connaissances, l’animateur cherche à modifier les représentations, c’est-à-dire les « recréations subjectives de la réalité élaborées par les personnes au cours de leur expérience de vie », en se basant sur le postulat suivant : « Toute personne se comporte de la façon la plus satisfaisante à ses yeux, compte-tenu de sa représentation du monde ».
D’autres théories soutiennent un postulat qui peut sembler antagoniste, mais que l’on peut considérer de manière complémentaire dans les processus éducatifs (cf. la théorie de l’engagement), à savoir : « Toute personne construit la représentation du monde qui, à ses yeux, explique de la façon la plus satisfaisante sa façon d’agir ».
Cette approche est présente par exemple dans la pédagogie du projet, où c’est dans la réalisation d’une action concrète portée par un groupe, que les participants vont faire évoluer leurs manières d’agir, mais aussi développer de nouvelles connaissances et attitudes. Il ne faut donc pas considérer les niveaux de changements de manière linéaire, avec un passage obligé d’un changement de connaissances, à un changement d’attitudes puis de comportements ; mais plutôt à la manière d’un système où ces trois composantes interagissent et s’influencent l’une l’autre.
La fonction du changement est de changer le monde perçu vers un monde meilleur que celui perçu. Elle implique d’élaborer le monde désiré en tenant compte du monde perçu et des contraintes connues, à partir :
1) Des manques.
2) Des avantages nouveaux possibles.
3) De l’existence de moyens pour obtenir ces avantages.
4) Des effets pervers possibles du changement envisagé.
5) Du contexte et de l’environnement.
Gilles le Cardinal [2] :
Un premier obstacle se situe souvent dans le système émotif des personnes concernées. Tout changement entraîne des peurs : peur de l’inconnu, peur d’être jugé, peur de l’échec. Pour être traitées, il faut que ces peurs s’expriment. Quelqu’un qui exprime sa peur exprime son espérance. Le changement peut entraîner aussi des pertes : perte de repère, perte de pouvoir, perte de sécurité, de valorisation, ce qui peut entraîner des réactions fortes. Il s’agit que le changement proposé implique des gains qui soient plus importants que les pertes.
Le système cognitif (information et représentation) est une autre source de blocage. Si la personne ne possède pas les informations suffisantes pour construire une nouvelle représentation du monde, si elle ne comprend pas la raison du changement ou sa direction (son sens !), elle ne peut l’intégrer de manière durable.
Le système comportemental et l’insuffisance de ressources (évaluation-décision-action) constituent un troisième obstacle. Des changements ne se font pas à cause du poids de l’inertie, de l’habitude, des efforts supplémentaires à fournir, des ressources matérielles ou humaines, de temps non disponible.
Le changement est, suivant ce modèle, un projet motivant le fondement de la personne si :
Cette perspective montre déjà des axes que l’animateur ou le formateur peut prendre en compte dans la conception et l’animation d’activités éducatives.
Face à une proposition (ou une imposition !) de changement, on peut observer quatre sortes de réactions qui s’enchaînent avec plus ou moins de force selon les situations [3] :
Face à ces réactions, on peut distinguer trois phases nécessaires [4] pour que le travail de formation soit éthique et pertinent :
Quatre paramètres principaux jouent sur l’ouverture au changement [5] :
Cependant ces paramètres agissent de manière différente en fonction des phases. Ainsi les phases de « dégel » et de recherche de nouveaux modèles seront facilitées par des temps longs de formation, une séparation marquée avec l’entourage familier et une composition de groupe hétérogène. L’intégration de changements à un niveau personnel peut également être plus aisée dans ces cas.
Par contre l’intégration des changements à un niveau institutionnel en sera peut-être freinée, car les institutions cherchent par nature à conserver leur équilibre et à rejeter les changements comme « un corps étranger à l’organisme ». Il est alors préférable de proposer des temps courts mais répétés, avec un groupe homogène, voire naturel, où les personnes peuvent s’appuyer les unes sur les autres pour affronter les résistances et transposer directement les changements dans l’environnement organisationnel.
Pour expliquer les conduites des personnes, deux courants de pensée se démarquent :
C’est de cette seconde conception que va naître la théorie de l’engagement ou théorie de la manipulation vers les années septante avec Kiesler, développée également par Joule et Beauvois [6].
La base de cette théorie, c’est que : « Seuls les actes nous engagent. Nous ne sommes donc pas engagés par nos idées, ou par nos sentiments, mais par nos conduites effectives ». Nous sommes donc dans un univers différent de celui qui propose de former des citoyens par l’éducation.
On a l’idée que seuls nos actes nous engagent. Mais aussi que l’engagement peut être plus ou moins fort, que l’on peut être engagé à différents degrés.
En effet, il existe cinq facteurs permettant de moduler la force du lien qui existe entre la personne et ce qu’elle fait :
En résumé, l’engagement d’un individu dans un acte correspond au degré auquel il peut être assimilé à cet acte.
[1] Alain Leu, La question du changement et de son accompagnement en formation, IUMF de Basse-Normandie.
[2] Gilles le Cardinal, Pourquoi et comment motiver les acteurs à coopérer aux changements qui les attendent ? Costech-Utc]. propose un modèle qui prend en compte six processus cognitifs qui s’articulent de manière interactive autour de la personne. Ces différents processus cognitifs peuvent cristalliser des obstacles au changement[[Noye Didier et Piveteau Jacques, Formation et changement, Guide pratique du formateur, Insep Editions, 1999, pp. 161-170.
[3] Bareil C., Gérer le volet humain du changement, Ed. Transcontinental et Fondation de l’Entrepreneurship, 2004, p. 70.
[4] Noye Didier et Piveteau Jacques, op. cit.
[5] Elisabeth Deswarte, Théorie de l’engagement, sur Psychologie-sociale
[6] R.V. Joule et J.L. Beauvois, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Presses Universitaires de Grenoble, 1987.