La formule d’Enda Graf Sahel
« Les indicateurs ‘vampirisent’ les objectifs en se substituant littéralement à eux. Dans ce cas, les acteurs orientent leurs efforts, non pas vers la réalisation des résultats ou des impacts attendus mais vers la réalisation des indicateurs qui permettent d’apprécier ces résultats, ce qui est tout différent. Un nombre significatif de projets de développement sombrent corps et âme dans ce piège ».
L’équipe d’Enda Graf Sahel (De Leneer, Ndione, Mbaye, Raymond et Matthijs) n’y va pas par quatre chemins dans son avertissement aux mesureurs d’impacts contenu dans son ouvrage Changement politique et social, publié par Enda à Dakar.
L’exemple que suit aide à comprendre son propos : « Prenons un résultat attendu classiquement formulé comme suit : ‘Au terme du projet, les populations de la moitié des villages de la région X disposent d’eau en quantité et qualité suffisante’. Voici un indicateur typique pour vérifier ce genre de résultats : ‘Quarante forages ont été réhabilités dans la région X’. Un indicateur d’impact aurait pu être formulé comme suit : ‘Un quart de femmes de la région X utilisent l’eau des forages pour leurs besoins ménagers’. En travaillant non pas pour atteindre l’objectif, mais pour satisfaire les indicateurs, les agents du projet peuvent en arriver a inconsciemment détourner le programme de son objectif ».
On aurait pu arriver au résultat par diverses voies, disent nos auteurs, par exemple par la gestion des points d’eau par des comités locaux d’utilisateurs. Mais si tous les efforts sont focalisés sur la réhabilitation des quarante forages on réduit la portée du programme à une seule perspective. Voilà comment l’indicateur se substitue au résultat et devient presque une fin en soi, voire un stéréotype préformaté. On le voit, les indicateurs sont des injonctions qui figent les activités et réduisent le potentiel de réappropriation du programme des bénéficiaires.
Il ne faut pas pour autant renoncer à l’établissement d’indicateurs. L’effort devrait être de s’accorder sur des indicateurs évolutifs, rédigés avec les acteurs concernés et qui visent une catégorie d’impacts plutôt qu’un impact en particulier. Dans cette optique, Enda propose des indicateurs transversaux ou macro-indicateurs de changement.
Ceux-ci adoptent la forme des hypothèses de fond et doivent être lus indépendamment de toute considération sectorielle. Ils font référence aux impacts des actions sectorielles sur la gouvernance de la Cité et tous les compartiments de la vie sociale, de l’Etat à la vie privée et familiale. Autrement dit, ils visent à mesurer la manière dont les changements s’inscrivent durablement et de manière évolutive dans les structures, matérielles et immatérielles, qui organisent la vie en société.