Le Maroc en trois tableaux

Mise en ligne: 20 mars 2006

Un regard historique et contemporain sur les enjeux du pouvoir dans la société marocaine, par Guillaume Van Parys

Les espoirs de réformes de la société marocaine, suite à l’avènement de Mohammed VI en 1999, ne sont que faiblement rencontrés. Même si les nouveaux acquis démocratiques sont indéniables dans les faits, le nouveau roi perpétue l’Etat parallèle hérité de son père, feu Hassan II, et demeure, dans les textes, un théocrate. La scène politique marocaine est sclérosée par la persistance de cet absolutisme antédiluvien, qui décrédibilise le gouvernement élu et entretient ainsi la déconnexion entre pouvoir et peuple, au bénéfice de l’islamisme politique, mais aussi au bénéfice de l’islamisme radical. Dans un contexte social aigu, cette situation exacerbe les tensions entre partisans de l’absolutisme monarchique et partisans de la souveraineté populaire. Après un bref regard historique, nous nous penchons sur les enjeux du pouvoir dans la société marocaine contemporaine.

Les enjeux du pouvoir

L’histoire politique marocaine au XXe siècle a été marquée par trois événements d’une importance déterminante : l’instauration du Protectorat en 1912, l’accession à l’indépendance en 1956 et la mort du Roi Hassan II, en 1999, qui a vu son fils aîné Mohammed VI prendre les rênes du pays, entamant une période dite « de transition », après les « années de plomb » sous le règne de son père.

Le Protectorat français (ainsi qu’une zone d’influence espagnole au Nord), proclamé le 30 mars 1912, se transforma bien vite en véritable colonie, après la répression violente du soulèvement du Rif par les troupes du maréchal Pétain, venues à la rescousse des troupes espagnoles en perdition en 1926.

Sous l’occupation, les aspirations nationalistes se structuraient peu à peu. Le Parti de l’Istiqlal, fondé en 1944, publia un Manifeste prônant le retour à la pleine souveraineté. Le sultan Mohammed V, un temps à la botte de Charles de Gaulle, après avoir appelé les Marocains à s’engager aux côtés de la France en mai 1944, raviva par après les désirs d’indépendance de son peuple. Il fut ensuite destitué et forcé à l’exil par les autorités françaises en 1953, pour laisser place au sultan Mohamed Ben Arafa, dit « le sultan des Français ». Ce dernier dut bien vite abdiquer. Mohammed V fit son retour triomphal au Maroc, qui obtint son indépendance de la France et de l’Espagne en 1956. Le Royaume marocain fut proclamé l’année suivante.

L’antagonisme entre les tenants de l’absolutisme monarchique et les forces politiques nées sous le Protectorat jalonna de violence les quinze premières années de l’indépendance, et continue de marquer la scène politique actuelle. Un nouveau soulèvement du Rif fut réprimé en 1958. En 1961, à 52 ans, le roi meurt accidentellement ; Hassan II lui succède au trône.

Décapitant le mouvement national, le nouveau roi instaura bien vite un système autoritaire. Toute opposition fut alors réprimée violement. La torture s’institutionnalisa dans les geôles et casernes du pays, notamment à Tazmamart, bagne du Moyen-Atlas tristement célèbre. Les opposants comme Abraham Serfaty ou Mehdi Ben Barka devinrent les symboles des « années de plomb » sous le règne de Hassan II.

Au début des années nonante, Hassan II tenta de corriger son image très autoritaire en vidant les cachots du régime. Il desserra prudemment l’armature despotique de son système et nomma en 1998, au poste de premier ministre, Abderrahman Youssoufi, opposant historique et leader du Parti « Union Socialiste des Forces Populaires » (USFP). Mais ce dernier, au lieu d’une transition politique, ne réussit qu’une transition monarchique et resta à la tête du gouvernement jusqu’aux élections de 2002. Hassan II meurt en 1999, après une longue période de « stabilité » politique. Son fils aîné, Mohammed VI, reçoit un pouvoir absolu en héritage.

Une transition en attente

L’investiture du nouveau roi suscita de nombreuses espérances au sein de la population et de l’opinion démocratique. Mohammed VI jouissait alors d’une popularité certaine, ayant été tenu à l’écart par son père des affaires politiques et sécuritaires de l’Etat. Les aspirations démocratiques de Mohammed VI sont indéniables, comme en attestent les quelques réformes réalisées dans ce sens, à commencer par la très populaire réforme du code de la famille, la moudawana (code du statut personnel). Mais également la création de l’Instance Equité et Réconciliation (IER) (lire à ce sujet l’article page...), qui s’est penchée sur les abus des « années de plomb » sous Hassan II. « La création de l’Institut royal de la culture amazighe, l’une des principales revendications du mouvement berbère, constitue une autre bonne initiative à mettre à l’actif du souverain » [1] . Ces réformes sont un vrai signe non seulement de l’évolution de la société marocaine mais aussi un saut qualitatif qu’il est difficile de voir remis en question sans que cela ne provoque la mobilisation de toutes les forces démocratiques du pays. Le roi néanmoins ne renie pas pour autant les acquis absolutistes de son père.

Les élections législatives de septembre 2002, « les plus propres et transparentes de l’histoire du Maroc » achevèrent bien vite de convaincre les observateurs et gouvernements étrangers de la bonne direction empruntée par le Maroc. Néanmoins, ces actions populaires, sans que leur bien-fondé soit contesté, cachent la réalité politique des rapports de force au Maroc. « Pour autant, le rapport de forces, seul véritable moteur de changement au Maroc, n’est annonciateur d’aucune réforme. Justement parce que les pouvoirs du roi sont trop absolus pour être gênés » [2] .

La réponse du monarque aux élections « les plus transparentes », reflétant sa manière de comprendre la démocratie fut de ne pas donner le pouvoir de former le gouvernement au parti le plus voté (les socialistes de l’USFP) sinon à Driss Jettou, un technocrate qui n’avait pas participé aux élections, mais qui avait montré sa fidélité à la couronne en gérant les élections depuis le ministère de l’Intérieur.

En trente-huit ans de règne, Hassan II a su édifier un Etat fondé sur un imparable amalgame entre pouvoirs temporel et spirituel. Ce puissant instrument absolutiste, dont dispose maintenant Mohammed VI, « fait de toute décision royale une décision sacrée par définition, puisqu’elle émane de lui » [3] . Toute déclaration du roi a ainsi force de loi. Cet amalgame fondamental se retrouve dans la bey’a (l’allégeance), et dans la Constitution.

La bey’a est une sorte de contrat social entre le peuple (« les croyants ») et son monarque (« leur Emir »). Le peuple fait acte de soumission et serment de fidélité au roi, qui, en contrepartie, est tenu d’assurer l’ordre public, la sécurité des individus et de la nation. L’allégeance est signifiée au roi une fois pour toutes lors de son intronisation, mais fait l’objet d’une cérémonie annuelle de reconduction symbolique, au cours de laquelle toutes les autorités du pays (temporelles et spirituelles) se courbent au passage du roi.

Le texte instaurant cette pratique n’est, de toute évidence, pas le fruit d’une démarche collégiale, mais bien d’un unilatéralisme monarchique. Il stipule longuement les obligations du peuple des croyants, en s’appuyant sur différentes sources coraniques, mais reste muet sur celles qui incombent à l’autre partie du contrat. De plus, le texte se garde bien de prévoir une instance de contrôle et des sanctions en cas de non respect du contrat. Le roi demeure juge et partie.

Un pendant « moderne » de la bey’a se trouve inscrit dans la Constitution même (article19), perpétuant ainsi l’amalgame entre les cercles religieux et temporel du pouvoir. Dans cet article, la référence à l’Islam précède toujours les références profanes. Ainsi, en vertu de cet article, le roi possède un pouvoir général d’action et d’interprétation s’imposant à tout autre pouvoir car d’une nature sacrée et partant supérieure. Seul le roi est à même de fixer les limites de son pouvoir. C’est bien d’absolutisme dont on parle. Le génie de Hassan II a été de rendre cet absolutisme tout à fait conforme aux lois en vigueur au Maroc.

Et c’est au nom de la bey’a que le roi prétend également au pouvoir constituant. Pas étonnant que « quand la monarchie rédige la Constitution, elle favorise une Constitution monarchique...plutôt qu’une monarchie constitutionnelle » [4].

« La séparation des pouvoirs ne concerne en aucun cas l’autorité suprême ». Dixit Hassan II (discours royal du 13 août 1978). Le même amalgame précité sert à contrôler les trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire. La référence au sacré pour légitimer le pouvoir du roi rend les instances issues de la légitimité populaire inférieures et subordonnées. Le Parlement est confectionné plutôt pour soutenir le roi et le gouvernement est réduit à une instance consultative dotée de compétences techniques. Parallèlement, les décisions du roi sont supérieures à toutes les normes juridiques produites par l’Etat. La justice est ainsi asservie complètement à la monarchie.

La gouvernance du roi et son système administratif de sujétion porte le nom de Makhzen, sorte d’Etat parallèle où se situe réellement le pouvoir au Maroc. « L’idée du Makhzen est que, devant l’inexistence de référents politiques solvables, le peuple appuiera, ou du moins se contentera de la continuité que représente Mohammed VI » [5] . « La méthode de gouvernement la plus éprouvée du Makhzen est celle de l’épée de Damoclès perpétuelle : imposer des lois abusives, laisser les gens les violer, et se garder la possibilité de sanctionner le contrevenant de son choix, au moment de son choix » [6] .

Mohammed VI n’a réalisé qu’une réforme majeure en sept ans (celle de la moudawana), alors qu’il en faudrait sept par an pour que le Maroc puisse prétendre un jour à une monarchie constitutionnelle digne de ce nom. Les espérances déçues s’accumulent au Maroc. La monarchie doit être réformée en clarifiant sa relation constitutionnelle et juridique avec l’Etat, la société et le gouvernement. La transition démocratique attend toujours dans les couloirs du palais.

Les contre-pouvoirs : la presse et les islamistes

Face à l’absolutisme de Mohammed VI, deux contre-pouvoirs se dessinent : la presse et les islamistes. La résistance aux politiques gouvernementales n’est pas l’apanage de ces deux contre-pouvoirs. Mais il est un fait que les forces progressistes, issues de la vie associative, ne disposent pas du crédit actuel, et donc du potentiel d’action, dont jouissent aujourd’hui les franges islamistes conservatrices (légitimistes et intégristes).

Le fait d’avoir « accepté de participer à un gouvernement dans lequel [les partis historiques] ne pourront pas appliquer les programmes pour lesquels ils ont été élus, fut le coup de grâce porté à la crédibilité de ces partis qui, dirigés par de vieux dinosaures de la scène politique, ont cédé au jeu des revenus facilement acquis que génère le Parlement, perdant ainsi définitivement le lien avec le peuple » [7] . La réponse des partis qui participent aux gouvernements d’alternance à cet état de fait est que pour le moment il n’y a que les réformistes qui font avancer les réformes.

Dans cette situation de déliquescence des partis traditionnels, la presse, jouissant d’une certaine liberté de parole sous Mohammed VI, fait office d’opposition critique au gouvernement et au Palais. « Il se dit un peu partout que la presse libre, en l’absence de partis politiques forts, joue le rôle de l’opposition. C’est plus vrai que jamais » [8] .

Ne se sentant plus bridés par le pouvoir en place depuis 1999, certains acteurs (islamistes, gauchistes, journalistes) osent remettre en question les pouvoirs du roi et les dérives du Makhzen. Le nouveau roi accepte la critique dans une certaine mesure, preuve de son ouverture démocratique, mais se garde le privilège de sanctionner quand il le veut. Ce ne sont pas les textes qui manquent actuellement pour répudier légalement un contempteur des pouvoirs royaux.
Ainsi, la condamnation du journaliste Ali Lmrabet en 2003 est révélatrice de la fragilité de la liberté de la presse. « L’acharnement contre le journaliste Ali Lmrabet, condamné à quatre années de prison pour « outrage à la personne du roi » (à cause de caricatures [décidemment !] jugées « offensantes »), a eu un effet désastreux pour la réputation du royaume » [9] . De même, les fréquentes condamnations [10] et menaces que les journaux marocains (Demain, Le Journal, TelQuel, La Mañana...) doivent subir démontrent une fois encore l’arbitraire du pouvoir actuel et le besoin de garantir légalement la libre expression de cette opposition efficace et nécessaire.
Deuxième contre-pouvoir, les islamistes. Ils possèdent actuellement, disions-nous, une aura certaine dans la société marocaine. A l’instar des autres partis historiques, le Parti Justice et développement (islamistes légitimistes tolérés) participe aussi aux élections. Pourtant, il n’est pas décrédibilisé et est perçu au contraire comme l’unique force importante d’opposition, ce qui a facilité sa fulgurante carrière ascendante, tant en sièges qu’en appui populaire.
A cet égard, les élections municipales de septembre 2003 révélèrent trois constats [11] . Tout d’abord, la campagne de diabolisation qui fut lancée contre le PJD comme instigateur des attentats de Casablanca le 16 mai 2003 n’a pas eu d’impact sur les votes de la population pour ce parti. Deuxième constat, le discrédit de l’USFP (socialistes) comme référent politique. Son immobilisme et sa docilité n’ont guère plu aux électeurs. Enfin, dernier constat, le Makhzen (gouvernance du roi) domine toujours les partis politiques comme en atteste la faible participation aux élections.

Si les législatives de 2007 devaient avoir lieu maintenant, le PJD a de bonne chances de remporter la mise. Notons que le Parti de la Justice et du développement se dit porteur d’un projet de changement social par la voie démocratique et non-violente. Il se détache par là même de l’autre tendance islamiste liée au radicalisme salafiste (takfiriste, pour être précis), nettement moins fréquentable. L’islamisme politique est largement implanté au Maroc, surtout dans des zones déshéritées par les politiques gouvernementales. C’est ce qui fait sa force aujourd’hui, lui permettant de se constituer en alternative au Makhzen, tant au niveau politique (notamment via le PJD) qu’au niveau social (notamment via l’organisation caritative Al-Adl Wal-Ihsan (Justice et bienfaisance, du cheikh Yassine). Les islamistes activistes sont constitués en groupes bien structurés (comme le PJD) qui luttent, sans recourir à la violence, pour instaurer un Etat islamique basé sur la loi islamique [12] . Ils reconnaissent certains acquis de la démocratie et participent aux processus électoraux. Ils maintiennent une grande indépendance entre eux et vis-à-vis des groupements islamistes étrangers.

Le défi du radicalisme

A l’inverse, la tendance salafiste takfiriste est formée de groupuscules radicaux, agissant sous l’emprise de prédicateurs préconisant une interprétation stricte de l’Islam, à implanter par tous les moyens, y compris violents. Ils entretiennent des liens étroits avec des groupes de la même tendance dans d’autres pays. Leurs membres comportent également d’anciens combattants de la résistance islamiste en Afghanistan, Bosnie, Tchétchénie...

Les attentats de Casablanca du 16 mai 2003 sont le fait de cette seconde tendance minoritaire (salafisme jihâdiste et takfiriste), et ont fait l’objet d’un rejet populaire unanime. Le Palais a toutefois entretenu la confusion, au lendemain des attentats, en accusant le PJD. C’était l’occasion rêvée pour le roi d’asservir ces contempteurs gênants. Les pressions firent ainsi démissionner le président élu du groupe parlementaire islamiste, ainsi que d’autres personnalités du mouvement, pour les remplacer par de plus dociles serviteurs du Palais.

« Quelques jours après les attentats (...), l’adoption d’une loi antiterroriste n’a rassuré ni les organisations de défense des droits humains ni les partenaires habituels du Maroc en Europe. Cette loi, qui définit de façon floue le terrorisme, ouvre la porte à toutes sortes d’interprétations. Donnant beaucoup de facilités à la police, elle est jugée aussi dangereuse qu’excessive par de nombreux juristes » [13] . Cependant, toute action s’inscrivant dans la sacro-sainte « guerre contre le terrorisme » fait l’objet d’une complaisance alarmante de la part des pays occidentaux.

Si Mohammed VI répond à la montée de l’extrémisme jihâdiste seulement par le tout-sécuritaire, sans s’attaquer aux causes profondes de l’écho que rencontre ce mouvement, il risque de renforcer ceux qu’il est censé combattre, comme ce fut le cas en Algérie. « L’expérience dramatique de ce pays [l’Algérie] prouve que l’interdiction ou la répression des islamistes peut profiter aux salafistes ultraradicaux, qui peuvent alors enrôler les islamistes en rupture de ban » [14] . Egalement, le mépris et l’indifférence que la classe politique suscite, largement dus au Makhzen et à l’attitude du Palais depuis plusieurs décennies, ne peuvent que profiter aux extrémistes.

L’islamisme radical trouve son terreau fertile dans les banlieues des grandes villes. « Ces zones déterritorialisées sont devenues des viviers de takfiristes. Car la différence n’est pas seulement tactique entre les takfiristes et les islamistes reconvertis dans le légalisme politique, à l’instar du PJD, ou dans l’action sociale, comme l’organisation caritative Al-Adl Wal-Ihsan [...], elle est aussi sociologique. Les salafistes du takfir ne sont pas des jeunes issus des quartiers populaires de la médina [...], ni même des cités ouvrières et des grands ensembles depuis longtemps désertés par les partis, les syndicats de gauche, et quadrillés depuis vingt ans par les militants islamistes traditionalistes. Les takfiristes sont des aliénés issus de milieux sociaux désintégrés qui n’ont connu que l’univers brutal et sordide des ghettos et ont été traités par la société comme des bêtes féroces. Au nom d’une certaine conception sectaire de l’islam, ils retournent cette férocité impitoyable contre l’ordre établi » [15] .

Dans ces quartiers « ghettoïsés », l’absence d’organisation de la vie collective (pas de mosquées, pas de bains maures...) couplée à l’absence de services publics (pas d’école, pas de poste, pas de banque, pas de transport en commun...) a empêché la construction de liens sociaux. Ce constat est la preuve que « l’islam salafiste marocain est le produit de la désagrégation de l’islam traditionnel et non de la résurgence de celui-ci » [16] .

Enjeux politiques : suite sans fin ?

En sus de ces enjeux politiques nationaux, le Maroc doit aussi faire face à de nombreux défis de politiques internationales, au nombre desquels on compte deux conflits territoriaux qui méritent d’être brièvement abordés ici : les enclaves espagnoles et le Sahara occidental.

À intervalles réguliers, les autorités marocaines reviennent sur le contentieux des enclaves de Ceuta et Melilla. Ce conflit historique envenime les relations avec l’Espagne. La position de Mohammed VI est cependant plus modérée que celle de son père. Il met pour l’instant entre parenthèses les aspirations territoriales du Maroc sur les deux villes. Selon certains observateurs internationaux, le roi ménagerait son voisin pour obtenir un appui européen dans l’autre conflit territorial qui concerne le Maroc : le Sahara occidental. Les indépendantistes sahraouis (le Front Polisario) peinent à rallier l’opinion internationale à leur cause tant les pressions du Maroc étouffent dans l’œuf les revendications. Conflit oublié de la scène internationale, le Sahara occidental est constamment éloigné de l’autodétermination. Ce contentieux est d’autant plus délicat qu’il implique également l’Algérie, grand voisin du Maroc, et qu’il donne lieu à de nouvelles violations des droits fondamentaux par les autorités marocaines. Pour le Maroc, les deux contentieux font partie d’un même dossier.

Comme le démontre la présente analyse, « les acquis dans le domaine des libertés et des droits humains demeurent fragiles - parfois même, ils sont remis en question » [17] . Sans parler des chantiers socio-économiques, le Maroc a encore du chemin à faire pour se mettre au diapason des aspirations démocratiques de sa société. Le dynamisme de la société civile fait d’elle un acteur prometteur dans ce processus.

Mohammed VI pourra-t-il encore longtemps accepter les avancées démocratiques tout en conservant ses pouvoirs absolus ? Jusque quand cette situation d’espoirs déçus pourra-t-elle continuer ? Le roi aura-t-il le courage de céder ses pouvoirs au bénéfice du peuple ? Le changement se fait attendre de la part du roi, à moins qu’il ne soit apporté malgré lui ? « Fragilisée de l’intérieur, pointée du doigt à l’extérieur, la politique du Maroc semble plus incertaine que jamais, en dépit du pouvoir absolu de celui qui tient entre ses mains sa destinée » [18] .

[1Ignace Dalle, Espérances déçues au Maroc, Le Monde Diplomatique, août 2004, p. 18

[2Le pouvoir absolu en héritage, Tel Quel n° 125, Casablanca, mai 2004, p. 40

[3Ibidem, p. 41

[4Ibidem, p. 44

[5Pedro Rojo, Mohammed VI : la perpetuación del Estado paralelo, Pueblos n°16, Madrid, junio de 2005, p. 43

[6Tel Quel, loc. cit., p. 39

[7Pedro Rojo, loc. cit., p. 43

[8Tel Quel, loc. cit., p. 40

[9Ignace Dalle, loc. cit., p. 18

[10Comme la récente affaire du Journal hebdomadaire marocain condamné à payer une amande de 270.000 € suite à un procès, au motif d’une prétendue atteinte à l’image du pays et de diffamation de l’institut Esisc, basé à Bruxelles. Le procès a été intenté par l’ex-journaliste français controversé Claude Moniquet, directeur de l’institut. Voir Le Soir du 17 février 2006.

[11Pedro Rojo, loc. cit., p. 44

[12Said Kirhlani, El Movimiento islamista marroquí, Pueblos n° 16, Madrid, Junio de 2005, p. 45

[13Ignace Dalle, loc. cit., p. 18

[14Selma Belaala, Misère et djihad au Maroc, Le Monde diplomatique, novembre 2004, p. 17

[15Ibidem, p. 16

[16Idem

[17Ignace Dalle, loc. cit., p. 19

[18Idem