Deux compagnies africaines font réagir le public wallon, lors du festival du théâtre-action, par Antonio de la Fuente
Le décor : des scènes de rue dans une ville africaine peintes sur toile par des peintres naïfs. Ou pas si naïfs que ça : on y voit des pilleurs qui se disputent le butin, une patrouille militaire armée jusqu’aux dents, des bus bondés, des journaux exposés par terre lus par un chœur de gens, des échangistes calculette à la main… Qui la connaît, reconnaîtra Kinshasa. A moins qu’il ne faille y voir Brazzaville : l’auteur de la pièce est Congolais et les acteurs —la troupe des Intrigants— sont Congolais ex-Zaïrois.
Le Président est une fable. Les personnages —le président, son fils, un industriel, un financier, un militaire et sa femme— à moitié déguisés en animaux, s’entre-déchirent pour avoir le pouvoir. Le peuple se plie, se laisse manipuler. La morale est claire : le pouvoir est corrompu jusqu’aux os. Tout pouvoir ou ce pouvoir là ?
La pièce est jouée à Gembloux avant la chute de Mobutu. Jusqu’à preuve du contraire, elle est plus que jamais d’actualité. Les acteurs, lors du débat qui suit la représentation, mettent l’accent sur sa portée sociale, pas uniquement politique : « Si le Zaïre s’est enlisé pendant six ans dans une transition qui n’a jamais abouti c’est parce qu’il n’y a pas que Mobutu qui pose problème. Il y a des petits présidents partout, dans les familles, les écoles. Il faut commencer par renverser ceux-là pour pouvoir s’attaquer à l’autre ».
Cette pièce peut dégoûter les gens de la politique plutôt que de les encourager à en faire, signale-t-on dans la salle. « Nous avons voulu monter une pièce d’un auteur africain —rétorque un acteur—. Nous ne faisons pas un théâtre à solutions. Aux gens d’en trouver. Nous nous limitons à présenter les problèmes. Mais je crois que cette fable provoque une catharsis chez les gens qui voient projetés leurs problèmes et cela est déjà le début d’une guérison ».
Ailleurs, c’est une compagnie venue du Burkina Faso qui présente Un puits pour Kobulga. Le puits du village est tari, l’eau du marécage est un poison, un enfant vient d’en mourir. Il faut creuser un nouveau puits, plus profond. Et voilà un coopérant étranger qui s’amène. Il est envoyé par l’ONG Puits sans frontières, ça tombe bien, c’est le cas de le dire. Il y va de sa petite étude : l’endroit choisi pour creuser le puits c’est le cimetière des ancêtres. Que faire ? Boire l’eau du marécage ou profaner l’endroit sacré ?
Le public est appelé à se prononcer, à rejouer le dénouement de la pièce. Au Burkina Faso, racontent les acteurs plus tard, les gens reconnaissent l’enjeu. Ici, au coeur du Namurois, l’enjeu se place plutôt dans la relation entre les acteurs et le public. A la fin, une question qui avait tardé à être posée surgit : « Au fond, qu’est-ce que vous pensez de nous ? ». La réponse de l’acteur burkinabé prend quelques détours avant de subitement s’éclaircir : « Si vous voulez venir chez nous en amis, vous êtes les bienvenus. Mais si vous venez en conquérants, comme c’est souvent le cas, il vaut mieux que vous restiez chez vous ».