Compter sur la co-transition

Mise en ligne: 15 mars 2019

La co-transition, c’est un récit qui peut être mobilisateur à condition de s’ancrer dans des pratiques. Echanges à bâtons rompus au sein d’ITECO

—La co-transition est un concept nouveau, forgé par ITECO, si bien que tout ce qu’on peut dire en la matière est en quelque sorte une introduction. On peut se demander pour commencer en quoi est-il préférable d’utiliser le terme de co-transition plutôt que de parler de coopération décentralisée entre des sociétés civiles au Nord et au Sud comme on le faisait il y a vingt ans ?

— On peut se demander à ce propos si deux entités qui vivent des réalités fort différentes au Nord et au Sud peuvent avoir un objectif commun qui serait celui de la transition écologique.

— Le mot de co-développement me vient en tête. Un concept qui souvent a été utilisé par des gens de droite, en France en tout cas, pour désigner une manière d’éviter l’immigration. Je me pose la question d’où vient ce « co » et pourquoi l’utiliser de la sorte ?

— Dans le parler des ONG, tout est « co » à présent. Tout doit être co-construit…

— Même la co-participation…

— La transition, ce serait un processus historique où l’on passerait d’un modèle de développement à un autre. Il est vrai que ces processus ont été jusqu’à présent occidentalo-centriques portant un rapport méprisant envers d’autres sociétés qui devaient passer par une phase de transition.

— C’est un vieux problème liée au changement social qui est formulé de cette façon. Ce qui est nouveau, c’est l’essai de réfléchir à rééquilibrer le pouvoir de diriger cette transition. Avec la décolonisation, les pays colonisés ont repris un peu de pouvoir sur la transition dont ils ont envie même si le néocolonialisme met des limites à cet avancement dans la souveraineté par rapport au choix du type de transition.

— Aujourd’hui avec le développement durable et la préoccupation pour l’écologie, c’est intéressant de parler en termes de co-transition pour mettre l’accent sur la dimension de l’interaction entre sociétés et des interactions plus égalitaires. Sur comment peut-on intégrer les effets des sociétés les unes sur les autres et le faire d’une manière non violente et intéressante par rapport aux enjeux planétaires.

— Une des premières définitions de l’éducation au développement, quand on parlait encore en ces termes, mettait l’accent sur l’interdépendance entre les sociétés du Nord et du Sud. Est-ce que cette idée peut être encore un incitant vers plus d’égalité entre le Nord et le Sud ?

— Oui car, malgré tout, les mots peuvent avoir la capacité de mobiliser. Autant donc de prendre des concepts qui font sens et sont mobilisateurs. Et puis de toute façon il y a déjà des actions qui sont menées sous la bannière de la co-transition.

— Quelqu’un me posait la question de savoir qu’est-ce que la co-transition. Elle a entendu ma réponse et m’a dit : Dans le temps, j’appelais cela « écologie populaire » mais je n’ai pas eu beaucoup de succès avec la dénomination.

— Mais oui, co-transition est plus porteur. Cela part du constat que les initiatives de transition sont portées par des acteurs du Nord parfois sans une réelle prise en compte des réalités du Sud. C’est bien beau de promouvoir des circuits courts pour une alimentation durable et bio mais que fait-on des producteurs de tomates du sud du Maroc qui produisent pour le marché européen, ou alors des appareils productifs de tas de denrées qui ont été façonnés en fonction des besoins des pays du Nord. Est-ce qu’il ne faudrait pas réfléchir à une co-transition dans ce sens-là. Est-ce que les initiatives de transition au Nord ne devraient réfléchir aussi à la manière d’intégrer ces groupes.

— Des ONG essayent de tenir compte de cela depuis un bon moment, à comment déjouer les effets de l’agriculture industrielle du Nord dans le Sud ce qui fait que par exemple au Sénégal les gens mangent du riz asiatique.

— Si une partie de la société civile commence à s’organiser autour d’initiatives de co-transition en tenant compte des conditions de ces initiatives vis à vis du Sud peut être favorable mais cela sert à peu de choses si l’agro-industrie continue à procéder comme elle procède, si on ne fait rien pour la contrer.

— C’est le processus qui peut être intéressant et la possibilité de pouvoir le raconter peut avoir du sens et faire réfléchir.

— Sur le plan des pratiques, je ne vois pas des choses nouvelles par rapport à ce qui se faisait il y a vingt ans sous le chapeau du co-développement. Mais sur base d’un constat global négatif dans ce sens que l’on se rapproche de l’effondrement, si l’on croit qu’on va droit dans le mur, si en termes moraux on voit que la pensée est discréditée et on va vers une dégénérescence de l’humain, peut être que le récit de la co-transition peut être mobilisateur.

— La transition est un discours très évolutionniste (on passe d’un stade un à un stade deux), mais il peut être mobilisateur pour des groupes qui essayent de trouver un sens à travers des formes d’action collective.

— La force du terme et aussi sa faiblesse c’est que tous les courants politiques ou presque peuvent s’en emparer. D’ailleurs, le terme de résilience peut être utilisé de manière très conservatrice, dans le sens de dire que cette société peut arriver à survivre aux maux qu’elle a créés elle-même, au lieu de profiter du constat que d’un point de vue écologique on va droit dans le mur afin de déconstruire des structures politiques et économiques qui ont mené à l’impasse.

— Les activités génératrices de revenus sont mises en avant comme des initiatives qui viendraient contrer la pauvreté mais parfois pn peut se demander si ce n’est pas une utilisation instrumentale de la forme coopérative de la part d’intermédiaires, de « courtiers » la plupart du temps.

— La co-transition peut être un récit mobilisateur et toute société a besoin de récits de ce type pour avancer. Dans le Sud, le récit qui a cours au sein du milieu associatif est celui du développement durable, voire du développement humain.

— Lorsque je parlais de permaculture en Amérique latine, je sentais bien que les gens faisaient cela d’eux-mêmes et malgré tout le terme était propre à mon cadre européen.

— Attention malgré tout à tenir compte du rapport entre le concept et la réalité, à ne pas tomber dans le nominalisme à outrance. Parfois le concept prend une autonomie telle que tu te dois te demander de quoi on parle finalement.

— Est-ce qu’on n’est pas devenu des experts de nos erreurs du passé ? Est-ce que les autres n’ont pas démontré avoir le savoir d’arriver à faire beaucoup avec peu ? Si, au Maroc, les gens utilisent le mot développement durable, il n’y a pas de problème à cela, même si en Europe c’est un mot usé. L’intérêt du concept est qu’il peut être mobilisateur pour des gens fort différents.

— La notion de développement durable a été forgée au Sommet de la Terre à Rio en 1992, à l’occasion de la rencontre entre les développeurs et les environnementalistes, où les uns ont admis que le développement intègre la dimension écologique et les autres ont compris que le Sud irait de toute façon dans le sens de se développer relativement rapidement.

— Mais l’écologie existait bien avant, ce moment consacre l’appropriation de ce terme par les Nations Unies et les organismes internationaux. Est-ce que la perte de vitesse de la notion de développement durable ne vient pas avec cette appropriation là ?

— On pourrait parler de co-transition écologique, mais aussi économique et monétaire. Ou comment passer du capitalisme à un autre système plus égalitaire. Il y a aussi la question de pardon historique dans ce contexte. L’idée de ne pas trop s’attarder sur le passé et les écarts mais se focaliser sur un futur ensemble, plus égalitaire, sans compensation des écarts provoqués par le passé.

— Au Sénégal il y a un réseau de villes en transition, en France, au Brésil, un peu partout il y a des villes qui entrent dans cette démarche de villes en transition. Pontevedra, dans le nord de l’Espagne, est parvenu à renverser la hiérarchie des gens qui circulent en ville —d’abord les piétons, ensuite les cyclistes et après la bagnole— et à déjouer des obstacles et le centre ville est devenu piéton dans une ville de 80 mille habitants. A présent le bilan est positif mais évidemment la transition a été très compliquée. Cela représente un coût qu’un bon politique doit être capable d’assumer.

— Dans un monde où l’on se sent isolé, où l’individualisme est prôné, la notion de co-transition permet de réfléchir en termes d’interactions et de flux, tant pour les matières que l’on consomme qu’en termes de personnes, et sur ce plan la question des migrations, des territoires, des frontières intervient fort à propos.

— Je l’impression qu’on sous-estime la capacité d’adaptation de l’être humain. On insiste trop sur l’immobilisme et pas assez sur des expériences atteignables, qu’il ne faudrait pas idéaliser non plus ni cacher leurs dimensions parfois paradoxales.