C’est ce que pensent et disent des femmes de RD Congo dans des formations organisées par l’Association pour la promotion de l’entrepreneuriat féminin (APEF, Bukavu).
En animant un atelier de formation aux relations Nord/Sud et à l’éducation à la citoyenneté mondiale à Bukavu, les personnes de l’ONG « Frères des Hommes » (FDH) ont été interpellées par les participantes présentes qui posaient des questions très directes et Dont les réponses n’étaient pas évidentes : « Excusez-nous pour la question, mais, pourquoi êtes-vous venues ici ? Qu’est-ce-que vous êtes venues chercher ? Vous dites que le Congo est très riche, mais où se trouve la richesse que nous ne voyons pas ? La Belgique est-elle responsable de la pauvreté que nous vivons au Congo ? » Ces questions posées par une des participantes, permettent de démarrer l’atelier que nous co-animons, FDH et son partenaire congolais, APEF.
Ensuite, d’autres femmes osent prendre la parole : « C’est la Belgique qui nous a mis dans cette situation ? Je vois directement le pays qui nous a colonisés comme responsable de ce qui se passe. C’est le Congo qui l’a enrichi ? En Belgique, ils ont créé des entreprises, ils se sont enrichis. Et nous, nous continuons à souffrir », enchaîne une autre femme. « Moi, je voulais savoir qu’est-ce que c’est l’Europe ? Parce que vous avez l’air d’être riches. Et moi je sais qu’au Congo il y a presque tout, mais, pourquoi nous ne pouvons pas être comme vous ? Si le Congo est riche, pourquoi nous restons pauvres ? » « J’ai vu ce qui se passe dans les mines au Sud-Kivu : des colis qui partent « là-bas », des personnes qui prennent les minerais ici et les emmènent là-bas. Pourquoi ne les prennent-ils pas là-bas au lieu de les prendre ici ? L’argent reste là-bas, mais c’est nous qui travaillons ici. Et je ne vois pas de transformation ici, je vois que tout part là-bas. » « Tout ce qui n’est pas de bonne qualité arrive ici, au Congo. Pourquoi on ne partage pas les produits de bonne qualité ? Pourquoi on n’emmène pas les industries là où se trouvent les minerais ? Des personnes sont sur place, alors, pourquoi ne transformons-nous pas les produits sur place ? » « Comme on est en famille, alors je peux dire cela : on doit prendre des revanches pour sortir de la pauvreté. Cela ne signifie pas de prendre les armes, mais on doit sortir de la pauvreté. Et on doit lutter ensemble contre la pauvreté. »
On rentre dans le vif du sujet. Nous avions préparé ensemble – APEF et FDH – les ateliers sur les relations Nord/Sud autour de sujets tels que la mondialisation, l’empreinte écologique, les objectifs du développement durable (ODD) et des alternatives possibles à des problèmes mondiaux, comme par exemple, le commerce équitable, la protection de l’environnement, le recyclage, la défense des droits humains, etc. Le public qui participe aux ateliers est composé des femmes qui ont déjà participé à des formations techniques et celles dites de participation citoyenne chez APEF. Quand ces femmes ont su qu’une ONG belge allait animer des ateliers avec elles, elles ont demandé d’aborder aussi la coopération internationale, Elles se sont exprimées comme ceci : « Pourquoi venez-vous chez nous ? Vous faites quoi comme travail chez vous ? » Les questions ne revêtent aucune animosité. Dès que nous arrivons, la relation entre nous, les animatrices de l’APEF et les femmes de Bukavu, est chaleureuse et tout le monde regorge d’enthousiasme. C’est juste que les participantes veulent savoir, qu’elles veulent comprendre ce qui nous motive à être là, surtout parce qu’elles connaissent le passé colonial qui relie l’histoire des deux pays. Et nous, FDH, nous nous demandons également comment le partenaire APEF aborde ces thématiques avec les participants à ses ateliers ? Comment APEF voudrait que nous les abordions dans nos ateliers en Belgique ? Pour dépasser les implicites et les non-dits, nées du passé colonial, il nous semble important d’aborder ces questions. C’est de cela qu’on parle avec Mme Salufa Nunu, fondatrice et coordinatrice d’APEF.
J’imagine que dans les formations de l’APEF, beaucoup de femmes posent les questions qu’elles nous ont posées quand on a été chez vous. Comment abordez-vous le sujet concernant la colonisation et les répercussions qu’elle a provoquées, induites ou produites sur la population congolaise ? Animez-vous des séances de formation sur ce thème ?
Chez nous, les questions concernant des inégalités entre pays sont, en général, abordées davantage par les élites que par notre public de femmes défavorisées. Parfois, certaines questions sur la colonisation et ses effets sont très pointues et elles vont au-delà de nos compétences. Les femmes qui participent à nos formations s’interrogent plutôt sur les relations de pouvoir, et cela à plusieurs niveaux : national, régional, local et, surtout, au niveau de la famille. Nos participantes se positionnent toujours, et à tous les niveaux, comme « des dominées ». Alors, on commence par aborder la position du « dominé », au niveau familial pour parfois aborder le niveau international. Nous encourageons les femmes à être revendicatives à changer, à transformer cette situation, toujours dans une optique non-violente. Évidemment, le sujet le plus parlant pour les femmes est celui qui concerne les relations de domination entre homme et femme. Nous travaillons sur comment développer des stratégies pour construire des relations égalitaires dans différents domaines. Pour APEF, le premier pas pour lutter contre des relations de domination est d’avoir accès à l’information. C’est pour cela que nous tentons de récolter des informations sur différents sujets et de les transmettre aux femmes. L’information est indispensable pour briser les rapports de domination et les transformer en relations égalitaires. C’est valable pour les femmes avec lesquelles nous travaillons et c’est également valable pour nous, membres de l’APEF et pour des associations de la société civile.... Bref, c’est valable pour nous tous ! Quand on parle aux femmes de « l’empowerment » (autonomisation ou appropriation et exercice du pouvoir d’agir) il faut être bien conscient que cela implique également le fait d’avoir accès aux ressources financières. Quoi qu’on dise, accéder à l’argent est important pour tous, surtout parce que cette appropriation des ressources contribue à l’émancipation des femmes. Ici, dans notre contexte, il est évident que l’argent résout beaucoup de problèmes. Si les femmes jouissent de leurs propres moyens financiers, elles pourront également se situer au même niveau que leurs maris. L’argent est une condition nécessaire, la base, mais il faut également travailler d’autres aspects pour que les femmes, et plus largement « les dominées », arrivent à s’émanciper. Accéder à l’information et aux ressources financières permettra de modifier les relations de pouvoir qui se sont créées tout au long de l’histoire. Dans notre travail de formation nous devons faire évoluer ce qui traditionnellement a été considéré comme l’essentiel d’une femme : « être une femme est .... ». Depuis notre enfance, on nous a indiqué le modèle féminin à suivre. Il y a même un certain endoctrinement religieux – je parle de toutes les religions - qui justifie notre position de dominées. Cela nous conditionne, nous les femmes, à ne pas réfléchir sur notre soumission. Si nous arrivons à nous déconnecter de ces images reçues, nous pourrons enfin agir. Parfois, ce sont les filles elles-mêmes qui construisent leurs propres limites. Les hommes ne sont pas l’unique frein à l’émancipation des femmes. Ce même mécanisme est présent dans d’autres relations de domination, y compris dans les relations historiques qui se sont créées à partir de la colonisation. Alors, si on parle des relations de domination au niveau international et si on veut modifier la situation actuelle, un premier pas est d’avoir accès à l’information. Souvent en Europe, vous avez beaucoup plus d’informations sur ce qui se passe chez nous, que nous-mêmes ! Et, parallèlement, nous devons aussi pouvoir accéder à des ressources pour déclencher notre propre développement.
Comment expliquez-vous dans vos formations, les inégalités qui existent entre les européens et le Congo ?
Pendant nos formations, cela arrive que les femmes s’interrogent sur la signification du concept de « l’aide au développement » au Congo. Elles nous demandent : pourquoi les Blancs nous donnent de l’argent ? Dans nos écoles, on nous apprend que le Congo est un pays très riche. Alors, les femmes ne comprennent pas pourquoi, le Congo étant si riche, il y a tellement de pauvres, au point que les Blancs doivent venir en aide. Notre réponse, alors, est que le pays détient beaucoup de richesses naturelles, mais que peu de Congolais et Congolaises peuvent en profiter parce que nos dirigeants ne pensent pas à nous, à la majorité de la population du pays. Si nous donnons cette explication ce n’est pas uniquement parce que c’est la vérité, mais aussi parce que nous voulons encourager nos participantes à s’impliquer dans la vie politique du pays. Nous voulons qu’elles comprennent qu’il est possible de modifier la situation si nous demandons des comptes à nos dirigeants. Nous, les femmes nous devons être capables de nous adresser aux représentants politiques et de leur demander : que faites-vous avec nos richesses ?
Je vais donner un exemple : nous travaillons avec des femmes commerçantes qui achètent des marchandises au Rwanda et qui traversent la frontière pour exercer leur commerce chez nous. Une fois, je les ai vues discuter avec les agents de la frontière qui voulaient leur faire payer des impôts illégaux. Elles donnaient des arguments pour ne pas les payer, elles ne se laissaient pas intimider. Elles avaient l’information sur ce qui était légal et sur ce qu’elles ne devaient pas payer. Elles ont fait face aux agents, sans peur et avec des bons arguments. Ces femmes pouvaient le faire parce qu’elles avaient l’information correcte, et parce qu’elles étaient sûres d’elles. Si toutes les femmes qui traversent la frontière pour faire du commerce peuvent adopter le même comportement, les agents ne pourront plus demander des impôts illégaux. Au regard de cette situation, je me suis dit : voici un exemple concret de comportement pour démonter les mécanismes de la soumission qui nous maintiennent dans une position de dominé. C’est cela que nous montrons aux femmes : oui, vous êtes pauvres dans un pays riche. Et c’est votre droit et votre devoir de commencer à changer cette situation. Au niveau du pays, si nous tous, nous bénéficions des informations correctes, nous pourrons orienter nos dirigeants. Nous pouvons observer que cela commence à se faire en Ituri, où la société civile se mobilise pour exiger du gouvernement plus de sécurité pour toute la population. Il est vrai qu’il serait important d’obtenir plus d’informations sur les relations Nord/Sud pour les partager dans nos formations. Je ne parle pas d’informations difficiles à comprendre. Il est important de partager ces informations de manière simple et pédagogique, et qui nous permettront de mieux comprendre et d’expliquer le pourquoi de cette contradiction : le pays détient beaucoup de richesses mais la population continue à être très pauvre. Il est intéressant de voir comment vous, en Europe, vous abordez cela. On peut être complémentaires dans nos manières d’aborder ce problème, non ?
Les femmes, posent-elles des questions concernant la colonisation et ses conséquences sur leur vie actuelle ?
Les femmes savent que dans le passé, les Blancs nous ont fait du tort. Mais, dans nos formations, nous insistons surtout sur l’éveil des consciences et sur la nécessité de changer les relations de domination actuelles, et de commencer à construire des relations plus égalitaires, de donnant – donnant, des relations où tout le monde est gagnant. Quand nous recevons des visiteurs de la coopération, nous en profitons pour initier un dialogue entre eux et les femmes. C’est l’ occasion pour expliquer qu’en Europe, il y a aussi des personnes qui veulent nous appuyer dans le changement que nous prônons. Tous les Blancs ne viennent pas nous prendre de l’argent. Nous profitons de ces occasions pour parler de la vie en Europe, pour les informer sur la vie en Europe , qui n’est pas parfaite pour tous. En effet, beaucoup de personnes d’ici veulent partir en Europe. Parfois, les femmes disent que ces Congolais fuient la pauvreté et nous abandonnent ici. 4
APEF explique qu’en Europe, beaucoup de Congolais et Congolaises de la diaspora n’ont pas une vie facile, qu’ils doivent faire toutes sortes de travaux qu’ici, ils ne feraient pas. Nous disons aux femmes que ce qu’il faut faire, c’est créer des emplois ici afin d’offrir l’opportunité à nos jeunes de rester dans notre pays ! Nous voulons nous battre pour développer notre pays, à notre manière, bien-sûr.
Quelle image du Congo et de sa population voulez-vous que nous, les ONG belges ou européennes, transmettions à des personnes qui participent à nos formations ?
Une première chose est d’informer les personnes qui ne le savent pas, qu’au Congo il y a de la misère qui donne des larmes aux yeux. Il faut dénoncer ce qui se passe ici et le dénoncer en Europe : la pauvreté, la violence, la corruption. Il faut informer sur le contexte du Congo et les difficultés quotidiennes vécues par la population. Nous voulons également que vous informiez sur le fait qu’au Congo, il y a des personnes qui se battent pour changer cette réalité. Nous voulons montrer l’existence d’une société civile qui a la volonté de renverser la situation. Nous voulons que les gens sachent que, chez eux, en Europe, il y a aussi des choses qui peuvent être faites pour nous aider à mettre en place ce changement. Quand je suis en Europe, je suis toujours étonnée de la manière dont les gens utilisent la nourriture. On la produit de manière industrielle et on jette sans trop réfléchir à ce qu’on fait. Je vous donne un exemple : parmi nos participants aux formations, il y a des personnes qui ont des poules à la maison. Pour elles, cet élevage demande l’effort de toute la famille, parce que l’activité implique une certaine exigence et un coût. Il faut donner une alimentation correcte aux poules, s’assurer de leur santé, nettoyer leur poulailler, protéger les poules des voleurs, etc. Or, des poules importées très bon marché arrivent sur les marchés locaux ! Une situation absurde s’installe : une poule importée devient moins chère qu’une poule élevée dans une petite cour, chez nous. C’est scandaleux, nos participantes ne veulent plus élever de poules... mais alors, que faire ? Est-ce qu’elles doivent rester sans rien faire et attendre qu’on vienne leur donner un peu d’argent pour acheter des poules importées ? Cette problématique induit des situations de personnes assistées et sans capacité à se révolter, alors qu’elles ne le veulent pas. Il faut que vous, en Europe, vous dénonciez cela, que vous ne permettiez pas que cette problématique continue à se produire. Un autre exemple est celui de la dette. Le Congo a une dette contractée lors de la période coloniale. Et nous, les populations actuelles, pauvres, devons payer ce que nos ancêtres ont dû accepter comme dette ? Là, il y a encore un travail à faire en Europe. Ici, dans les écoles, on n’aborde pas ces thèmes. On ne parle pas plus de la participation citoyenne. Pourtant, on devrait le faire depuis le plus jeune âge. Nous devons apprendre depuis l’enfance à penser de manière critique et à nous impliquer dans la dynamique sociale de l’endroit où nous vivons. Grâce à un échange que j’ai pu faire, j’ai appris qu’au Brésil, dans certaines écoles, au travers de scénettes on apprend aux enfants à interpréter le rôle de décideurs politiques. Ensuite, cela leur permettra d’éveiller leur conscience sur le rôle et la responsabilité des représentants politiques. On devrait pouvoir faire cela ici, pour que tout le monde puisse apprendre à s’impliquer dans les décisions qui concernent la société, sa région, sa localité. Avec les femmes dans nos groupes, nous travaillons sur ce qu’on veut construire pour que notre vie et notre monde soient meilleurs. On travaille sur les valeurs qui seraient importantes pour cette nouvelle société. Nous réfléchissons aux meilleures façons pour initier cette transformation. À l’heure actuelle, des femmes qui ont évolué grâce aux formations réfléchissent avec l’APEF sur la vision idéale d’un collectif, d’une organisation, d’une société, et sur les moyens et les étapes à franchir pour y arriver. Ensemble, nous pensons à l’image qui représente le mieux ce que nous voulons devenir en tant que femmes et en tant que Congolaises. On le sait : c’est un travail de longue haleine mais nous nous sommes embarquées avec enthousiasme dans cette voie.
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