Changer le monde depuis l’école. De gauche comme de droite, cette assertion nous sonne comme une évidence tant l’institution scolaire détient depuis la fin du XVIIIe siècle le monopole de l’apprentissage et du seul lieu (hors la famille) qui convienne le plus aux enfants et à leur éducation. Reste encore à savoir au service de quel monde, de quel modèle de société nous la faisons œuvrer...Si l’école est un des lieux d’une possible émancipation à travers la diffusion d’instruments augmentant notre puissance de pensée et d’agir, elle est également (et surtout ?) le lieu de la légitimation et de l’intériorisation de l’ordre social existant jusqu’à être devenue pour certains la « meilleure agence de publicité qui nous fait accepter la société telle qu’elle est » [1]. Elle serait en ce sens chaque fois plus un lieu d’adaptation des individus aux conditions de marché préparant leur mise en concurrence à partir d’un triage social opéré et naturalisé à travers une distribution des diplômes et des mérites scolaires. Si les acteurs associatifs et scolaires luttant pour un monde plus juste où ressources et pouvoirs sont égalitairement répartis ne peuvent faire l’économie d’une critique radicale des fonctions sociales de l’institution scolaire, l’espace scolaire n’en reste pas moins un front à occuper. La lutte pour la réduction des inégalités, pour la remise en question du modèle capitaliste néolibéral et son caractère écocide et mortifère, pour la décolonisation d’un imaginaire occidentalo-centré à prétention universaliste,... sont autant d’objectifs qui nécessitent un travail pédagogique rigoureux d’analyse et de
problématisation tout autant que d’alliances fortes entre ONG d’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire(ECMS), secteur associatif et monde scolaire. Ce numéro vise donc tout autant à discuter certaines pratiques d’ECMS dans leurs portées politico-pédagogiques qu’à proposer des pistes concrètes à travers la présentation de différents outils pédagogiques créés par différentes ONG d’ECMS actives en milieu scolaire en Belgique francophone. Ces pratiques d’ECMS en milieu scolaire au-delà de ce qu’elles peuvent produire pour ses participant-e-s sont autant de pistes de travail dans la construction de sociétés interculturelles et démocratiques. C’est également en ce sens que nous espérons qu’elles stimuleront les questionnements sur les pratiques pédagogiques émancipatrices et sur les conditions rendant possible la participation de tou-te-s au devenir historique de nos sociétés. Bonne lecture.
[1] Ivan Illich, Une société sans école, édition seuil, 1971, p. 185.