Quelle place a la lutte contre le racisme et les discriminations dans nos interventions en ECMS ?

Mise en ligne: 8 décembre 2020

Comment questionner nos projets et nos interventions par rapport aux besoins de nos partenaires enseignants et leurs élèves ?

Ce que nous faisons en tant qu’acteurs en ECMS, notamment dans le monde scolaire, va au-delà d’un simple travail, Nous y sommes émotionnellement et énergétiquement attachés. Autant la créativité manifestée au travers de nos différents projets puise dans notre propre engagement en tant que citoyens, autant j’ai confiance en cet engagement pour nous permettre de prendre un peu de recul par rapport à notre travail et ainsi de l’interroger pour à la fois être en phase avec nos interlocuteurs et plus efficaces dans nos actions.

La construction d’un monde plus solidaire et plus juste auquel nos différents projets d’ECMS souhaitent contribuer est un idéal constamment confronté aux grands enjeux sociétaux - l’immigration - le racisme - l’antisémitisme - l’islamophobie - la xénophobie - l’homophobie - le sexisme - le racisme, etc.

Ces enjeux n’épargnent pas notre pays, la Belgique. Certains d’entre eux peuvent même constituer un réel frein quant à l’impact que nous recherchons au travers de nos activités d’ECMS.

Si nous sommes autant d’organisations à mener des actions en milieu scolaire, c’est parce que nous sommes conscients de l’importance du défi que nous nous lançons. Nous savons surtout que pour espérer un réel changement de mentalités, il faudra semer les bonnes graines, et ce dès le plus jeune âge.

La prudence s’impose à nous pour nous permettre de maximiser nos incidences. Nous devons nous assurer d’avoir bien nettoyé le sol de toutes ces mauvaises herbes qui empêcheraient les graines de pousser et de nous fournir une bonne moisson.

A chacune de mes interventions dans les écoles, je suis frappée par le même constat. Une thématique, une classe, et des réactions très différentes au sein de la même classe, comme si la classe était composée de trois groupes distincts qui ne se comprennent pas.

« Coopération Education Culture » (CEC), l’association pour laquelle je travaille, est engagée dans la lutte contre le racisme et les discriminations. A partir d’une démarche artistique et culturelle, nous menons des actions visant à déconstruire les stéréotypes et les représentations persistantes à l’égard de l’Afrique, de ses populations et des afro-descendants.

Ce travail a permis au CEC d’acquérir une expertise en matière de colonisation belge et sa propagande. Nous intervenons soit en réponse aux demandes des professeur.es souhaitant aborder ces thématiques avec leurs élèves, soit dans une perspective de médiation entre élèves ou entre élèves et enseignant.es.

Malgré sa diversité, la Belgique est malheureusement entachée d’un racisme systémique et plusieurs voix s’y accordent. Une catégorie de la population fait l’objet d’actes discriminatoires au quotidien, Les jeunes ne sont pas épargnés.
« Les contrôles d’identités peuvent sembler anecdotiques. Mais cela s’accompagne, plusieurs fois par semaine, d’insultes et de provocations avec le risque, de finir dans un fourgon ou au commissariat pour une fouille à nu au moindre faux pas. En tant que blanc, on n’a pas conscience qu’un oubli de carte d’identité peut mener à l’hôpital ».

Lors de mes animations, j’ai eu jusqu’à présent affaire à des classes d’une grande mixité d’origines et/ou de confessions religieuses. Cette mixité est moins présente dans le corps professoral.

Le but des animations du CEC est de sensibiliser élèves et professeur,s autour des stéréotypes, du racisme et des discriminations vis-à-vis des personnes d’origine étrangère, et en particulier des afro-descendants.

L’animation est, dans la majeure partie des cas, précédée du visionnage d’un film abordant cette thématique : il s’agit de « Blackkklansman » de Spike Lee ou de « I’m not Your Negro » de Raoul Peck. Nous les proposons régulièrement par ce qu’ils permettent de contextualiser la question du racisme à l’échelle mondiale.

A la fin de la projection, des groupes se forment. Certains sont persuadés que les mauvais traitements à l’égard des personnes racisées dénoncés à travers ces films sont une réalité américaine qui ne concerne certainement pas la Belgique. Les afro-descendants prennent beaucoup de temps avant de s’exprimer, et quand ils parlent enfin, ils.elles sont nerveux.ses et perdent leurs moyens. Les élèves de confession musulmane sont quant à eux contrariés au début. Ils estiment que personne ne se préoccupe de leur sort, ni les professeur,es ni les animateurs.trices externes.

Ils dénoncent des formes de discriminations auxquelles ils font face parce qu’ils sont musulmans. Toutefois, ils vont très vite se rallier aux afro-descendants. Le premier groupe est très vite mis mal à l’aise, se sentant visé par les propos des autres ou assimilés aux bourreaux. Quant aux professeur.es, ils/elles assistent impuissant.es aux différentes réactions. Certains estiment le comportement des jeunes racisé.es excessif et déplacé. Les autres comprennent la colère de cette frange d’élèves et souhaiteraient travailler en profondeur ces problématiques du racisme et des discriminations, mais ils se disent désarmés, parce que ne disposant pas de compétences ni d’outils nécessaires.

Mon expérience m’a amenée à aborder un sujet qui permet de calmer les esprits et de fournir une autre lecture au problème du racisme et des discriminations vis à vis des afro-descendants. Il s’agit d’aborder l’histoire coloniale belge au Congo, au Rwanda et au Burundi ; de revenir sur les stratégies utilisées par la propagande coloniale pour justifier cette colonisation aux yeux de la population belge.
Expliquer comment les stéréotypes qu’elle a longtemps véhiculés et qui sont encore ancrés dans l’imaginaire collectif peuvent handicaper l’épanouissement de toute une communauté.

Par le prisme de l’histoire coloniale, la démarche permet aux élèves de prendre du recul et d’arrêter de se positionner en bourreaux et en victimes Ensuite il devient possible de les amènera une réflexion sur des perceptives pour une Belgique responsable, équitable à l’égard de tous ces citoyens et surtout fière de sa diversité.

C’est le moment de revenir sur le concept de la citoyenneté, des notions de la responsabilité collective et individuelle, de l’implication des uns et des autres, des droits mais aussi des devoirs.

Nous avons déjà rencontré des classes où les tensions entre ces différents groupes ont débordé, et où même les professeur.es de morale, de religion ou de philosophie n’arrivaient plus à crédibiliser leurs cours.

Malgré les projets très variés d’ECMS pour le monde scolaire et la diversification des supports, il est à remarquer que les professeur.es à la recherche d’outils ou d’animations qui les aideraient à redresser la situation, ne les trouvent pas.

Je tiens également à partager la difficulté éprouvée à aborder efficacement et objectivement la question du racisme, sans tomber ni dans le jugement ni dans la condescendance. Il en est d’autant plus important de s’appuyer sur des outils appropriés.

Chez CEC, nous avons l’habitude de questionner nos interventions, nos outils, notre approche, et même notre mission. Une série de questions me reviennent régulièrement en mémoire en évoquant l’ensemble des acteurs en ECMS et à notre mission commune. Que pense-t-on du racisme et des discriminations ? Sommes-nous conscients que les discriminations sont la mauvaise herbe à arracher impérativement pour que les graines plantées à travers l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire puissent pousser et porter des fruits ? Si oui, alors pourquoi si peu d’outils et de propositions à ce propos ?

Ce n’est un secret pour personne que la Belgique est pointée du doigt
quant aux discriminations subies par une partie de sa population, en
l’occurrence les personnes originaires d’Afrique subsaharienne.

Tout le monde attend du gouvernement des mesures et des politiques pour en sortir. Néanmoins, il existe d’autres sphères de pouvoir, capables de provoquer un réel changement dans la société.

Le pouvoir des acteurs en ECMS n’est pas moindre. Nous avons la connaissance et surtout un accès à la pépinière « école ». Et, si à travers notre engagement citoyen, notre créativité, le pouvoir et l’influence que notre secteur nous donne, on déclarait tous ensemble la guerre au racisme ? Mais également à toutes les autres formes de discriminations et de haine - l’homophobie - l’islamophobie - la xénophobie - le sexisme - l’antisémitisme - etc. ? Et si nous décidions que la citoyenneté mondiale et solidaire précède la construction d’une Belgique solidaire et équitable dont le développement et l’épanouissement ne laissent personne sur le banc de touche ?

Je suis intimement convaincue que le changement que nous espérons par le biais des incidences de nos activités et projets respectifs ne sera que difficilement atteignable si la lutte contre ce fléau qu’est le racisme
dans notre société ne devient pas la priorité de notre secteur.

La créativité débordante des acteurs de notre secteur peut inspirer la mise en place d’actions concrètes collectives susceptibles de faire décoller la lutte contre le racisme et les discriminations.

Tels sont nos rêves.

Rêver seul ne reste qu’un rêve. Rêver ensemble devient la réalité

John Lennon