L’éducation au développement devient éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire

Mise en ligne: 1er décembre 2016

Les mots sont abstraits, les photos explicites, par Antonio de la Fuente

La recherche menée par ITECO ces trois dernières années sur les publics orphelins de l’éducation au développement montre que, encore de nos jours, celle-ci éprouve beaucoup de difficultés à quitter sa zone de confort traditionnelle, à savoir les écoles pour la classe moyenne.

Comme démarche d’ensemble, l’éducation au développement a évolué sur quelques aspects mais pas beaucoup concernant les publics auxquels elle s’adresse. Les associations de terrain disent ne pas connaître ou alors ne pas se reconnaitre dans la dénomination « éducation au développement ». Pour celles qui la connaissent, elle est connoté « Sud », chasse gardée des ONG, donc. Et si le mot « développement » était relativement consensuel il y a un quart de siècle, il est devenu à présent un mot à problèmes, charriant des contenus parasites comme industrialisation ou eurocentrisme, pour ne signaler que les plus légers.

Dès lors, les ONG sont en train d’abandonner la dénomination « éducation au développement » et de la remplacer par « éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire ». Celle-ci serait plus incluante, plus explicite, plus détaillée. Plus longue aussi, si bien que pour s’y référer, les ONG utilisent l’acronyme ECMS. Et les acronymes, ça, on aime. Il n’est pas inutile de rappeler que des études montrent que le majorité de la population belge ignore ce que le mot ONG veut dire. Dès lors, utiliser d’entrée de jeu un acronyme comme ECMS équivaut à être entendu et compris uniquement en petit comité.

Pour présenter le changement de dénomination, les ONG belges francophones, regroupées au sein de la fédération Acodev, ont rédigé un Référentiel que voilà. Un court texte divisé en quatre chapitres : Finalités, mission, stratégies et liens avec d’autres champs. A travers sa lecture en termes sémantiques, l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire peut être résumé ainsi : L’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire (elle) suscite (promeut) des démarches (des processus) dans des champs (coopération, éducatif, social).

C’est un sujet bien abstrait que le nôtre ! Et les entités auxquelles l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire s’adresse et pour lesquels elle agit le sont tout autant. Le référentiel les nomme de trois manières : ce sont « les citoyens et les citoyennes », le plus couramment. « Les publics », parfois. « Les apprenants », une fois.

« Citoyens, citoyennes, citoyenneté » sont de loin les termes les plus utilisés dans ce référentiel, ce qui renforce l’aspect abstrait de la proposition. Citoyen : « sujet d’un pays », nous renseigne le dictionnaire. Difficile de trouver un terme plus désincarné, plus passe-partout. Il n’y a pas de noms propres, pas de lieux ni de visages dans ce texte.

Passons sur les tics de langage, comme celui d’ajouter la particule « co » à des verbes qui l’incluent déjà, comme dans co-construire. Ou des marqueurs de distinction censés être intégrateurs et qui produisent plutôt l’effet contraire, celui d’exclure ceux qui ne les utilisent pas, c’est à dire la plupart des gens.

Si bien qu’à la lecture de ce référentiel on n’en saura pas beaucoup plus sur ce qu’est concrètement l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire, où elle a lieu, qui sont les personnes qui mènent ces actions, quel est leur visage et encore moins celui des personnes à qui elle s’adresse.

On regarde les photos, alors. Et qu’est-ce que ces photos nous montrent ? Des enfants et des jeunes adolescents de la classe moyenne à l’école ou s’adonnant à des activités scolaires par ailleurs. Uniquement ? Uniquement.

A ce stade, on retrouve le constat de base qui était notre point de départ : l’éducation au développement n’agit pas ou peu en direction des publics autres que ceux des écoles des classes moyennes : peu de migrants, de jeunes de quartiers populaires, de personnes âgées. Après lecture de ce référentiel de l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire, force est de constater que le changement de nom n’a pas entraîné un changement de public.