Education populaire avec des populations mayas et non mayas au Guatemala, par Milena Merlino
Au Guatemala, les orientations néolibérales des gouvernements successifs ont placé une partie des ressources naturelles du pays entre les mains de l’oligarchie locale et de multinationales bien peu scrupuleuses, générant tensions sociales sur fond de violence liées en outre au narcotrafic et aux conflits fonciers. C’est dans ce contexte difficile que Serjus accompagne les communautés paysannes et indigènes. En de nombreux lieux, ces populations affectées par l’extrême pauvreté et l’injustice tentent de faire valoir leurs droits. L’organisation de leur résistance est essentielle et c’est ici que l’action de Serjus revêt toute sa pertinence, au travers de l’école de leaders qu’il a mise sur pied. Par ce projet, il s’agit de former des personnes qui guideront les communautés locales dans la défense de leurs droits et la réponse à leurs besoins économiques et socio-politiques. Au sein de ce processus, l’éducation populaire est l’arme pacifique privilégiée. Comme nombre de ces communautés sont constituées d’indiens mayas, Serjus a adjoint à cet objectif la volonté de contribuer à la récupération de la culture et de la cosmovision de ces populations.
Des siècles de spoliation ont privé les populations mayas d’Amérique latine de leur richesse culturelle, que ce soit par le biais d’une violente répression ou par l’entretien d’un pernicieux sentiment de culpabilité à l’égard de pratiques ancestrales. Or, ce sont les peuples indigènes qui sont les plus affectés par la pauvreté, la malnutrition, l’exclusion, la répression politique ainsi que la violence qui entoure notamment la mainmise des multinationales sur les ressources naturelles du pays. L’âpre lutte qu’ils doivent mener face à ces lourdes difficultés exige un renforcement de leurs compétences, mais aussi de leur culture en tant qu’élément unificateur et ce, depuis leurs pratiques traditionnelles jusqu’à leurs propres modes d’organisation politique et économique.
De nombreux dirigeants intellectuels mayas ont formulé des critiques à l’égard d’une modernisation strictement envisagée sous l’angle économique. On peut le comprendre au vu des croyances spécifiques à la cosmovision maya. En effet, leur vision systémique de l’univers où chaque élément occupe une place qui lui est propre est totalement opposée au modèle néolibéral générateur d’exclusion. Leur conception traditionnelle de la société est au contraire très unificatrice, intégrant naturellement les aspects de genre, de multiculturalité, mais aussi les différences individuelles. Le travail de récupération de cette culture s’inscrit donc avec pertinence dans la défense des droits de ces peuples indigènes frappés par l’exclusion.
Si chaque homme a sa place, la nature a la sienne également et en tant que mère de tous les êtres vivants et source de vie, elle mérite elle aussi le respect. Or, les dérapages de l’ère moderne en ont fait un puits potentiel de richesses qu’une minorité d’individus tentent de s’accaparer au travers d’une avide filière économique, et ce, au détriment d’une majorité de populations. C’est au travers de tels mécanismes que l’être humain s’est érigé en propriétaire du monde qui l’entoure, imposant sa domination à ses semblables et à ce que les mayas appellent la terre mère.
La renaissance de la culture maya, espérée par ces peuples depuis des siècles et inscrite dans leurs écritures, évoque le retour à un ordre naturel, à l’équilibre et l’harmonie du système universel. Serjus y contribue aux côtés des populations concernées. Pour eux, l’éducation populaire joue un rôle central dans la récupération de la cosmovision indigène et en particulier maya. Par cet outil, il s’agit de reconstruire une identité et d’encourager un processus de modernisation à partir des principes relatifs à la cosmovision selon lesquels nous sommes tous différents, mais inévitablement reliés, expression d’une diversité dans l’unité qui fait de chacun de nous un sujet cosmique. Dans cette optique, l’éducation populaire vise à élever les niveaux de conscience et par là même à générer des sujets qui puissent rétablir un système universel harmonieux. Pour ce faire, il convient notamment de créer les conditions pour que la diversité culturelle soit respectée, que l’égalité des genres soit restaurée, qu’aucun être n’ait à souffrir d’une oppression quelconque et que la nature soit libérée de l’appropriation et de la destruction.
L’école mise en place par Serjus, dans son volet soutenu par Frères des hommes, s’est fixé comme objectif de former nonante leaders d’organisations de base et de mouvements en trois ans. Formés à l’éducation populaire et aux principes de la cosmovision maya, ils accompagnent les communautés, les amenant à réfléchir de façon critique à la réalité qui les entoure, à revisiter leurs valeurs culturelles pour élever leur niveau de conscience et contribuer progressivement à l’émergence d’un modèle de développement cohérent et à un nouveau projet de nation au sein de laquelle chaque être assumerait un rôle qui lui corresponde et où il serait ainsi sujet « constructeur » et « transformateur » du système.
L’un des défis que doit affronter Serjus est d’inclure dans cette dynamique les populations qui ne sont pas d’origine indigène ou dont l’appartenance philosophique est toute autre. « Les choses se font, déclare Manolo García, coordinateur de l’association, même si lentement. Dans notre démarche, nous travaillons des thèmes unificateurs et donc également l’idée d’une cosmovision chrétienne ou même marxiste-léniniste ». Encore et toujours l’expression de l’unité dans la diversité…