Des politiques parfaites, des ateliers parfaits et des ressources éducatives parfaites ?, par Rene Susa
Au cours des dernières années, l’éducation globale a été soumise à une critique non négligeable sur le fait de savoir si elle pouvait tenir sa promesse d’induire un changement positif dans la société ce qui mènerait à une meilleure compréhension des problèmes mondiaux et le développement de compétences sociales et personnelles nécessaires à un engagement mondial plus actif.
A ma connaissance, très peu d’efforts ont été investis pour valider l’hypothèse selon laquelle seule la compréhension et les compétences peuvent conduire à un engagement profond et durable.
Je crois fermement que la question « comment savoir si cela marche ? » telle que proposée par l’évaluation des besoins doit être complétée par de nouvelles questions. Au moins deux ou trois me viennent à l’esprit. La première est : « comment cela doit-il marcher ? ». La deuxième : « après toutes ces années, pourquoi sommes-nous encore amenés à nous poser cette question ? ». Et peut-être « pourquoi avions-nous pensé que cela fonctionnerait en premier lieu ? ».
En réfléchissant à ce que l’éducation globale représente, cela me rappelle étonnamment la fameuse déclaration de Maastricht qui définit l’éducation globale comme « une éducation qui ouvre les yeux et l’esprit des citoyens sur les réalités du monde globalisé et les incite à créer un monde plus juste, plus équitable en tenant compte des droits humains pour tous ». Bien que je reste constamment sceptique de toute définition, je trouve celle-ci particulièrement pertinente et même tenant lieu de boussole dans une quête sans fin de l’apprentissage.
Laissant de côté les grands concepts, tels que la mondialisation, la justice, l’équité et les droits de l’homme, il existe de véritables pépites dans cette déclaration qui sont restées étonnamment largement non exploitées depuis dix ans, date de son adoption.
Le fondement de la déclaration de Maastricht parle de l’éducation comme un processus qui ouvre les yeux et l’esprit des gens aux réalités du monde et les réveille. Relisons à nouveau cette phrase, c’est une éducation « qui ouvre les yeux et les esprits des gens à la réalité du monde et les réveille ». Si vous ne la trouvez pas stimulante, lisez-là à nouveau. Plus je la lis, plus je suis étonné par l’ambition et la beauté intrinsèque que l’on trouve dans ces mots.
Peut-on seulement imaginer ce que cela signifierait de mettre en pratique cette déclaration, d’agir avec une passion, un dévouement et un nécessaire abandon de soi ? Osons-nous seulement nous éveiller au monde que nous habitons ? Ou avons-nous peur de trouver la tâche trop écrasante ? Nous devrions le faire, au moins pour ce que cela représente pour « nous », le moi rationnel, individuel, sceptique, au nom du travail sur soi que nous avons mis en place dans nos propres vies.
Si nous avons perdu notre capacité à prendre des risques et à s’interroger, c’est peut-être parce que nous n’apprenons plus rien de nouveau et de sensé. Si nous ne sommes pas ébahis chaque jour par le monde qui se renouvelle, alors nous sommes vraisemblablement en train de tourner en rond, simplement en train de creuser le chemin qui a été parcouru tant de fois auparavant. Ce cercle nous donne l’illusion de mouvement, mais nous n’allons nulle part, sauf quelques millimètres plus loin sur ce même chemin que nous traçons, avec le poids croissant de nos connaissances et de nos expériences identiques.
Comment pouvons-nous sortir de ce chemin balisé, pour aller n’importe où dans le monde où nous pourrions à nouveau nous permettre de nous étonner sans cesse au lieu d’être engourdis par les mêmes images quotidiennes ? De nouvelles pistes commencent cependant à émerger alors que nous développons notre capacité à les imaginer. Pouvons-nous imaginer de nous réveiller dans un monde légèrement moins ressassé par ces scénarios que nous nous racontons afin de savoir qui nous sommes, comment nous sommes et ce que nous faisons ? Savoir ce qui est important, ce qui est faux, ce qui est juste, ce qui est possible et ce qui ne l’est pas ? Peut-on vraiment l’imaginer ?
À commencer par la déconstruction de l’idée des supposés « méchants » : sommes-nous prêts à essayer de cesser d’accuser nos politiciens, les banquiers, les publicitaires, les entreprises, les gouvernements, les patrons, les enseignants, les amis, les partenaires, les parents et les frères et sœurs, ce système qui se manifeste par toutes sortes de forces extérieures pour créer un monde que nous (aussi) avons imaginé comme une réalité ? Nous continuons à croire à ce présupposé parce que nous n’osons pas proposer autre chose, quelque chose d’inconnu, quelque chose que nous n’avons pas encore essayé.
Oui, bien sûr, il y a des gens malhonnêtes au pouvoir et ils doivent être tenus responsables de leurs actes, mais d’un autre côté ils sont peut-être en train de faire un très bon travail à saper la réalité politique et économique précisément en étant avides et corrompus. Personne ne peut détruire une banque comme peut le faire un banquier.
Si nous souhaitons que le « système » s’écroule, de sorte qu’il change, nous pourrions tout aussi bien applaudir les apprentis sorciers des marchés financiers pour leur excellente contribution à le mettre à bas. Ainsi, au lieu d’externaliser nos préoccupations, nous pourrions essayer de penser au-delà de notre imaginaire habituel, au-delà des capacités que nous maitrisons déjà. Comme le diraient les Monty Python : « Que diriez-vous de quelque chose de complètement différent ? ».
Je propose donc que nous arrêtions maintenant le moment présent, parce que c’est probablement le seul moment qui n’ait jamais vraiment existé. Arrêtons-nous, et examinons la situation. Si l’éducation globale a pour but d’ouvrir nos yeux et nos esprits aux réalités du monde, alors pourquoi pensons-nous que cela peut être fait en racontant aux gens où nos bananes poussent et combien les producteurs sont payés ? Pourquoi nous engageons-nous dans l’interculturalité et continuons à oublier le dialogue inter et intrapersonnel ? Pourquoi mettons-nous autant l’accent sur l’apprentissage et les compétences de communication et ne donnons-nous absolument aucune attention à la puissance relationnelle du silence ? Comment pouvons-nous même imaginer de parler de paix sans d’abord tenter de calmer nos esprits et nos cœurs ? Sommes-nous curieux ou avons-nous peur que les institutions qui nous financent disent : et bien ... ce n’est pas de l’éducation globale alors nous ne finançons plus ? Questions délicates, désagréables et dérangeantes. Précisément la substance même de l’éducation globale. Le désordre.
Ce n’est certainement pas une tâche facile de mettre la main à la pâte et de reconsidérer ce qu’il faudrait faire pour permettre un engagement réel et créer une envie d’aller plus loin. Cela sera cher payé et dangereux, parce que les gens profondément engagés courent souvent le risque d’avoir des ennuis à cause de ce pour quoi ils se battent. Mais nous sommes restés trop longtemps dans nos petits abris confortables, s’appuyant sur ce que nous savons et des procédures qui ont déjà été testées sans apprendre grand-chose de ce que nous ne savons pas et ne pouvons pas (encore) faire. Comme souvent, l’échelle commence à pencher dangereusement et il est important de rééquilibrer le tout. Il est temps d’enrichir toutes nos connaissances et théories, pratiques et politiques avec des idées qui ne s’apprennent que rarement, voire jamais, à l’école. D’envisager des apprentissages qui ne peuvent être enseignés dans les livres ou à l’écran et ne peuvent pas être transmis à travers des conférences ou des ateliers.
Ces genres de connaissances « de la transformation » ne peuvent tout simplement pas être enseignés, nous ne pouvons pas les « travailler », mais nous pouvons créer les conditions favorables pour leur permettre d’apparaître à la surface. Cela nous oblige à nous laisser imprégner par le monde, afin que nous puissions aussi apprendre de lui, et pas seulement sur lui. Pour permettre cela, nous devons calmer nos esprits enflammés qui continuent à vouloir expliquer comment marche le monde. Autrement dit, nous devons apprendre à nous taire. Quoiqu’il ressorte de ce silence, cela aura une valeur dans notre monde déjà maintes fois expliqué. Ce ne sera pas quelque chose d’éthéré et séparé du monde réel. Non, la valeur de ce silence doit nous enrichir dans ce que nous faisons quotidiennement et nous inciter à penser de façon plus ouverte et plus profonde que nous le pensions possible. Le silence est là pour nous encourager à repenser et à recréer nos théories et nos pratiques et à le refaire encore et encore. C’est une source inépuisable d’énergie qui maintient la roue en mouvement. Elle nous empêche de nous endormir, littéralement. Rappelez-vous Maastricht : l’éducation globale est sur le point d’être réveillée !
Ce que je propose ici n’est pas de considérer que les problèmes pour lesquels nous nous engageons normalement tels que la pauvreté, le développement, l’inégalité, l’injustice, la solidarité ne sont pas pertinents ou que nous nous engageons de manière insensée. Il ne s’agit pas de cela, il s’agit simplement du fait que nous nous approchons de la limite du potentiel de transformation de la connaissance. Il s’agit d’enrichir ces connaissances de questions et de méthodes, telles qu’elles puissent nous réveiller et raviver nos aspirations les plus profondes, et les plus intimes. Comprendre ce qui va mal et ce qui devrait être fait à ce sujet est juste une partie de l’enjeu, un élément nécessaire mais pas suffisant.
Imaginez (et je reconnais que c’est un exemple stupide) : Combien d’entre nous vont arrêter d’utiliser du papier toilette (si tant est même que ce soit une solution), parce que nous savons que ce papier vient des arbres qui ont été coupés dans la forêt amazonienne (si tant est que cela soit vrai), sans laquelle nous ne serons plus capable de respirer (si tant est que cela soit un problème) ? Déjà, probablement, au moment où nous commencerons à nous imaginer faire quelque chose à ce sujet, ce problème sera probablement arrivé à son point de non-retour.
Mais, la vraie raison pour laquelle nous ne ferons rien vient du fait que la façon dont le problème est présenté est trop abstraite, trop cérébrale, trop irréelle et trop « écrasante » pour réellement nous permettre de nous impliquer. En plus, il s’agit peut-être juste d’une histoire créée de toute pièce, nous n’avons donc pas à nous en soucier.
Maintenant, nous allons essayer une autre histoire. Un conte de fées très court. Imaginez que vous ayez une sœur (si vous en avez vraiment une, c’est un avantage) que vous aimez beaucoup et que celle-ci ait été enlevée par une sorcière maléfique. La sorcière était très jalouse de sa bonté et de sa beauté, elle l’a donc transformée en arbre. Un magnifique bouleau. Depuis de nombreuses années maintenant, vous rendez visite à ce bouleau chaque jour, juste pour être présent, et parce qu’elle est votre sœur et que vous appréciez sa compagnie, même si étant devenue arbre, elle ne parle pas beaucoup. Avec le temps vous avez appris à discerner quelques mots susurrés qui peuvent être entendus quand le vent souffle à travers ses branches et ses feuilles. Vous vous sentez bien en sa compagnie et vous imaginez qu’elle apprécie aussi la vôtre. Un jour, alors que vous étiez tout simplement en train de profiter de l’ombre qu’elle vous offre contre le soleil estival, vous remarquez un groupe d’hommes équipés de tronçonneuses venir dans la forêt où votre sœur vit maintenant. Ils sont employés par une usine de papier et commencent à couper les arbres alentour. Ils s’approchent de votre sœur. Votre sang se glace. Que faites-vous ?
Les deux histoires sont bien sûr inventées. Mais en fonction de la manière dont nous nous laissons « embarquer » par l’une d’entre elles, nous pourrions réellement nous sentir obligés de faire quelque chose parce que nous sentons une sorte de connexion. Si nous pouvons nous éloigner de l’objectivation froide des évènements et commencer à reconnaître la subjectivité là où elle n’existait pas avant, nous pourrions ouvrir des espaces pour développer des liens plus profonds. Si ces connections peuvent vraiment se développer profondément en nous, comme ce peut être le cas, par exemple, entre frères et sœurs, nous pourrions alors faire des choses que nous n’aurions même pas osés faire dans des circonstances « normales », parce que nous nous permettons d’être émus, et nous nous permettons d’entrer dans un état critique qui renforce notre volonté d’agir.
Si nous voulons faire des choses inhabituelles et extraordinaires (et les solutions habituelles semblent bien stériles désormais), alors nous devons arrêter de fuir les crises et de commencer à examiner le pouvoir qu’elles nous offrent. Il peut sembler idiot d’imaginer avoir un bouleau pour sœur et un esprit rationnel refusera catégoriquement de le faire, mais le problème est simple : à moins d’être de véritables sociopathes nous n’aurions probablement pas laissé quelqu’un massacrer notre sœur avec une tronçonneuse. Même pas au Texas. Nous pourrions tout aussi bien laisser quelqu’un abattre un arbre complètement anonyme quelque part dans le bassin de l’Amazone, parce que les arbres anonymes ne font pas de bonnes histoires et que nous avons pleins d’autres soucis. Les sœurs viennent cependant généralement en quantité limitée.
Dans un monde rationnel tout cela est simplement absurde bien sûr, mais si nous sommes à la recherche de résultats et de motivations pour agir, alors je propose que, au moins dans le souci d’essayer autre chose, nous continuions à rester tels des chiens de garde vigilants, mais aussi que nous laissions d’autres types de raisonnements et de rationalités se glisser en nous et voir comment ils s’entremêlent. Si quelque chose de trop dérangeant entre en nous, l’esprit se rebellera, c’est sûr.
Ce que j’essaie de démontrer, c’est que si nous voulons vraiment nous engager, non seulement en tant que citoyens, mais aussi en tant qu’êtres humains qui font partie de « la toile », de la vie sur cette planète, alors nous devons rentrer dans ce type de relationnel. Des fils doivent être tissés entre nous et le monde qui nous entoure. Ils doivent être tissés très, très serrés. Si serrés que la différence entre nos égoïsmes et le reste va commencer à se fondre dans le tissu. Encore une fois, il ne s’agit pas de catastrophisme ou de se perdre dans les fantasmes hollywoodiens (bien que cela puisse être un effet secondaire), il s’agit de diminuer l’importance de nos égoïsmes, de sorte que nous puissions être infusés dans nos corps, dans nos peaux, au plus profond de nous-mêmes, afin que nous puissions être en mesure de nous connecter au-delà de notre forme originelle, à la fois en dedans et en dehors.
Nous trouverons qu’il est très difficile de rendre justice à d’autres personnes, et même à nous-mêmes d’ailleurs, si nous nous considérons comme des individus distincts qui se livrent purement et simplement à des relations réifiées avec les autres. Chaque fois que nous sourions à quelqu’un et que nous attendons un sourire ou un clin d’œil sympathique en retour, nous entrons dans une relation mercantile. Nous donnons et nous voulons quelque chose en retour. La profondeur à laquelle les idéologies arrivent à pénétrer au cœur même de nos êtres est tout sauf superficielle, elle est en fait terrifiante. C’est pourquoi il est assez rare que nous souriions tout simplement. Habituellement nous sourions pour une raison. Ou dans l’espoir d’une récompense. Effrayant.
C’est pour moi difficile à avaler, mais je crois vraiment (la foi dans les sciences sociales ?) que les questions de justice, de solidarité, d’empathie sont principalement des questions d’identification. Tant qu’il y a un « autre » que nous percevons comme distinct de nous-mêmes et donc pas vraiment identifiable, nous n’allons probablement pas traiter cet autre avec le respect qu’il mérite.
Nous allons continuer à faire face aux problèmes du dialogue interculturel (ou autre) comme si nous traitions simplement de questions de différences et de similitudes. Les deux sont visibles et tangibles et leur visibilité obscurcit une présomption plus fondamentale qui sous-tend toutes nos relations. C’est la présomption de cette séparation entre nous que nous n’abordons presque jamais, parce que nous ne pouvons pas la voir à cause de son omniprésence. Pourtant, ce n’est jamais qu’une autre histoire, un autre scénario.
Un scénario si persistant et si puissant qu’il est même la cause de schizophrénies et peut nous amener à perdre contact avec nous-même au point que nous développions et entretenions une double image de soi (narcissique), une image externe, un masque plus ou moins socialement souhaitable, et notre moi véritable, notre moi caché , généralement moins acceptable.
Tant que nous continuons à agir de cette façon nous ne sommes même pas capables de nous traiter avec le respect que nous méritons. Alors, comment pouvons-nous nous attendre à partager avec les autres quelque chose que nous n’avons pas en premier lieu ?
Il semble raisonnable de penser que combler les vides que nous avons créés en nous et en dehors de nous est l’une des voies à emprunter vers un engagement plus inclusif et moins coercitif avec le monde qui nous entoure.Nous aurions alors probablement moins peur de lâcher nos scénarios habituels et nos agendas, si nous étions capables de percevoir d’autres voies comme faisant « quelque part » partie de nous.
Mais pour être en mesure de le faire, nous devons d’abord trouver les moyens de « rentrer à la maison ». Et il y a beaucoup de façons d’y parvenir, cependant la plupart d’entre elles sont ignorées et discréditées, certaines sont ridiculisées et quelques-unes sont même illégales. Le pire c’est que nous sommes coupables, car certaines des façons les plus bénignes, comme la lecture de contes, la pratique de certaines danses expressives ou encore jouer certains types de musique et d’autres types d’art ont déjà un pouvoir de transformation incroyable.
Nous ne devons pas nécessairement passer par un rituel de passage, méditer, sauter d’une falaise, ou passer dix ans sur le canapé du Dr. Sigmund pour apprendre à connaître quelque chose sur nous-mêmes. Tout a une importance.
Cependant, nous avons réussi à mettre de côté bon nombre de ces chemins qui peuvent nous rapprocher de notre maison, de notre vrai moi unifié, et ce en utilisant des labels tels que : primitif, subjectif, ésotérique, irrationnel, oriental, occulte, thérapeutique, exotique, ou encore enfantin. A ce titre, nous sommes encore prêts à faire tout ce qu’il faut pour ne pas nous regarder en face, même si cela signifie détruire le monde dans lequel nous vivons.
Mais qui est vraiment ce méchant cadavre dans le placard que nous repoussons sans cesse et à qui nous refusons de faire face ? Est-ce juste une partie de nous-même que nous ne sommes pas disposés à révéler ou y a-t-il plus ?
Voici une pensée terrifiante : et si cet « autre » redoutable n’était tout simplement que nous ? L’empathie et la compréhension : pourquoi ne pas essayer, ne serait-ce que comme un jeu, d’imaginer les autres comme des tranches, simplement légèrement différentes, découpées de la même miche de pain ? Voudrions-nous encore faire du mal à une tranche voisine ou encore vouloir lui enseigner/la changer/la transformer pour son « propre bien » ?
Cela ne signifie pas que nous serions soudainement d’accord avec tout ce que les autres tranches pourraient faire.
Non, mais cela nous permettrait de faire face à ce désaccord sans avoir l’envie d’anéantir systématiquement les autres tranches. Si nous venions tous du même pain, n’aurions-nous pas à faire en sorte que tout le monde soit égal, parce que fondamentalement c’est ce que nous sommes, n’est-ce pas ? Nous pouvons faire justice aux autres tranches en reconnaissant leurs propres chemins d’apprentissage et en reconnaissant que ce qu’ils apprennent a une valeur pour l’ensemble du pain.
A priori, l’éducation globale a pour but de progresser vers un monde plus juste et plus durable, dans un futur à la fois imprévisible et indéfinissable. Mais qu’en est-il maintenant ?
Aujourd’hui, à cet instant même ? Encore une question désagréable ? Si tel est le cas, pourquoi est-ce désagréable et où cela nous touche-t-il ? Qu’est-ce que cela implique ? Du changement ? Un changement fondamental ? N’est-ce pas ce dont nous parlons à longueur de temps ? Nous sommes censés changer le monde et pourtant nous nous demandons rarement quel est notre vrai potentiel.
Comment pouvons-nous savoir ce qui est collectivement possible si nous ne sommes même pas conscients de notre potentiel personnel ? Comment pouvons-nous savoir ce qu’est notre potentiel si nous ne nous demandons pas qui nous sommes ? Comment pouvons-nous changer des modes de comportement ou des attitudes que nous ne connaissons même pas ? Comment pouvons-nous aller vers les autres si nous ne savons pas où nous sommes ?
Ce ne sont pas des spéculations philosophiques. Les questions posées ont très peu à voir avec la philosophie ou la religion ou tout autre système convaincu de nous donner des réponses complètes.
Ce sont des questions pour lesquelles personne ne peut répondre à notre place. Et pourtant, tous les enseignements dispensés sur la Terre ne sont pas sans importance non plus. Ils font office de poteaux indicateurs que nous pouvons utiliser pour aller plus loin sur nos chemins vers une redécouverte de nous-même. Ils font aussi office de grand feu de bois alors que nous avançons dans la froideur « rabâchée » du vide.
Rien de tout cela n’est vrai, bien sûr, du moins dans la compréhension unique de la vérité. Et l’obsession de la vérité est précisément ce qui nous préoccupe. Trouver les bonnes réponses, poser les bonnes questions. Comment résoudre les problèmes du monde ? Comment éliminer la pauvreté, comment pouvons-nous nous assurer que les plus fragiles d’entre nous aient eux aussi un foyer sûr pour leur permettre de se chercher, aussi longtemps qu’ils le désirent ?
Au lieu de toujours chercher la vérité ultime, le grand algorithme qui va casser le code de plus en plus complexe et numérisé de notre vie, nous pourrions faire autre chose. Après tout, qu’est-ce qui nous garderait pleinement vivant et exalté si nous obtenions toutes les bonnes réponses ?
Au lieu de concevoir des politiques parfaites, des ateliers parfaits et des ressources éducatives parfaites (qui ont tous un rôle important), je propose de détrôner la quête de la connaissance (mais pas de l’abandonner), et de simplement ouvrir des espaces équivoques en quête du beau et du bien.
Ces deux concepts ont été détournés depuis trop longtemps, si longtemps, en fait, que nous avons presque complètement oublié ce que nous pourrions découvrir si nous nous aventurons sur ces chemins. Et c’est passionnant, parce que nous n’avons que très peu ou peut-être même aucune idée de l’endroit où nous pourrions aller. Là, se trouve un endroit où nous pouvons faire de nouvelles erreurs. Erreurs imprévisibles. Rien de calculable car il n’y a rien à calculer. Nous devons tracer les cartes à la main, car aucun GPS ne fonctionnera sur ce terrain. Peut-être que nos mains, nos corps se rappelleront de choses que nos esprits ont oublié depuis longtemps.
Si ces mots vous parlent, ils ne vous parlent pas simplement parce qu’ils sont vrais ou faux, s’ils vous touchent d’une façon ou d’une autre c’est aussi parce qu’ils entrent en résonance avec ce que vous ressentez comme bon ou mauvais, laid ou beau. Que se passe-t-il lorsqu’on observe non seulement nos pensées, mais aussi nos émotions et nos réactions corporelles aux messages que nous recevons et créons ? Quelle a été votre réaction à ce texte ? Soyez honnête envers vous-même à ce sujet. Il n’y a pas de problème, même si cette lecture vous rend malade. Je n’ai aucune idée de la façon dont ce texte sera perçu. Mais je devine que si quelque chose nous rend malades, nous ne serons pas en mesure de contourner le problème.
Je pense cependant que la relative stérilité de la connaissance et de la raison ne suffit pas à provoquer le changement profond et significatif que nous aurons à réaliser dans très peu de temps. Nous aurons à nous connecter au monde d’une manière qui va défier et remettre en question notre rationalité habituelle si nous voulons à nouveau nous sentir comme à la maison sur cette Terre. Si nous voulons prendre part à sa beauté et à sa respiration telle que nous pouvons l’imaginer et non comme « les maîtres » que nous avons la fausse impression d’être.
Nos vies sont menacées, non seulement parce que nous sommes en train de détruire la capacité de la planète à nous nourrir, mais aussi parce qu’elles risquent de devenir si vides et ennuyeuses que cela ne vaudra peut-être plus la peine de vivre.
Traduction d’Hélène Deboisieux