En enseignant, tu apprends

Mise en ligne: 13 novembre 2014

Témoignages des volontaires togolais, propos recueillis par Cécile Imberechts et Vanessa Stappers

L’éducation au développement cherche à encourager l’engagement des citoyens dans des actions porteuses de changement social. Nous avons donc questionné les volontaires togolais de Visions solidaires sur ce qui les met en mouvement et ce qui les motive à s’engager.

De l’envie de se former et de se perfectionner par l’échange, l’apprentissage mutuel et la mise ne pratique, au désir de participer à des projets concrets permettant de résoudre des problèmes de société, en passant par les besoins de valorisation et de reconnaissance pour favoriser la confiance et la participation de chacun au projet de société ou encore par la curiosité et le plaisir de rencontrer tout simplement ses concitoyens (togolais, africains ou européens) chaque volontaire donne à son engagement des raisons, un sens et des orientations particulières qui permettent bien souvent d’articuler à la fois développement personnel et changement social.

Rachida, étudiante en journalisme et animatrice radio

Quels sont pour toi les enjeux de l’éducation à la citoyenneté et à la solidarité au Togo ?

J’ai découvert Visions solidaires par des amis, j’ai vu que cela faisait partie de leur mission de lutter pour asseoir la citoyenneté et le développement social. Faire partie de Visions solidaires, c’est apporter ma contribution, par mes connaissances, au changement social. J’y apprends beaucoup à améliorer ma conduite citoyenne et je peux diffuser ensuite autour de moi.

Pourquoi est-ce nécessaire ?

C’est nécessaire parce qu’on remarque qu’il n’y a pas d’engagement en général, les gens ne se sentent pas responsables de faits sociaux qui pourtant les concernent. Il est nécessaire de prendre conscience que c’est à nous de nous lever pour faire en sorte que cela marche. On ne doit pas forcément attendre que quelqu’un le fasse à notre place et c’est pourtant ce qu’on a tendance à faire. Si tu prends l’initiative de faire quelque chose, cela interpelle les gens qui se disent alors « c’est possible ». Peut-être que tu peux inciter d’autres, par la manière de te conduire et d’agir, à se sentir aussi responsable du développement de leur société.

Quelles sont les petites victoires remportées dans le cadre de ton engagement ?

Le problème le plus souvent posé ici, c’est l’insalubrité dans les quartiers. On a des gens qui ne se préoccupent pas de l’environnement, qui se disent qu’ils n’ont pas d’autre solution et qui jettent les ordures n’importe où, n’importe comment. Si tu réalises que c’est ton environnement et que si c’est propre, c’est toi qui en profite, ça donne envie de bouger ! Donc, chaque mois, on mobilise tous les habitants de notre quartier et on les invite pour une séance de salubrité du quartier : on balaie, on enlève les mauvaises herbes, on remblaie les trous qui font que les eaux stagnent, on met un peu de sable et on brûle les déchets. Les gens disent qu’ils n’ont pas le choix parce qu’ils n’ont pas d’endroits précis où jeter les ordures, donc on brûle tout pour rendre notre voisinage un peu plus propre.

Et vous faites un travail d’incidence auprès des autorités pour qu’ils prennent cela en charge ?

Oui, il y a les Comités de développement des quartiers et des chefs de quartier qui font des plaidoiries auprès des autorités et des partis politiques, surtout quand les élections approchent. Les politiciens sont toujours là pour dire « nous allons faire cela, nous allons faire ceci »… On espère toujours que cela va changer un jour mais en attendant comme cela n’arrive pas, on s’arrange nous-mêmes avec les habitants et on le fait.

Ibrahim, étudiant en sciences économiques

Quel est le sens de ton engagement volontaire à Visions solidaires ?

Nous ne sommes pas volontaires, mais bénévoles, c’est-à-dire que nous n’attendons aucune rémunération. J’ai eu à militer dans beaucoup d’associations. Dans chacune, j’essaye d’apprendre beaucoup de choses, et dès que j’ai fini d’apprendre, je quitte pour aller voir s’il y a encore d’autres savoirs ailleurs, et j’y vais. Quand j’ai eu terminé l’Aiesec (Association internationale des étudiants en sciences économiques et commerciales), j’ai adhéré à Visions solidaires parce que j’ai vu qu’ils travaillaient sur beaucoup de thématiques : la migration, le Social Watch et les programmes sur l’handicap, paix et citoyenneté et action solidaire. Ce qui m’a beaucoup intéressé, c’est le programme Social Watch qui coïncide avec mon parcours estudiantin, car on y parle beaucoup d’économie. Le programme touche plus les problèmes sociaux, et on y écrit beaucoup d’articles. C’est pour cette raison que j’ai adhéré à Visions solidaires, pour avoir un bagage assez fort dans le domaine économique, et pour pouvoir écrire des articles et être un peu reconnu. Car il y a beaucoup de gens qui visitent le site internet de Visions solidaires, même des ministres. Mon rêve c’est de faire partie d’une organisation internationale. Pour y parvenir, tu dois forcément passer par des associations ou t’investir dans l’humanitaire. Ainsi, si on te demande ce que tu as fait pour la société ou pour ta communauté, tu peux le prouver.

Tu peux décrire le programme Social Watch ?

Actuellement, on intervient plus sur les problèmes sociaux. Par exemple, lors de l’accroissement des prix du pétrole, on a écrit un article pour dire au gouvernement togolais de baisser les prix et pour parler des problèmes qui ont eu lieu lors des manifestations : problèmes de circulation, grèves… On écrit des articles sur les problèmes sociaux. On les observe et on intervient auprès de l’Etat. Il faut écrire beaucoup pour faire ces interpellations. Actuellement, je ne travaille plus sur le programme Social Watch car je dois d’abord acquérir des compétences pour pouvoir écrire des articles. Maintenant je suis chef de groupe du programme Migrations.

Que faites-vous dans le programme Migrations ?

C’est le programme sur lequel nous sommes le plus reconnus sur le plan international car nous changeons beaucoup de choses. Nous écrivons d’articles et de rapports qui sont lus dans tout le pays parce que nos chiffres sont reconnus comme fiables grâce au travail de recherche qu’on fait.

Vous travaillez sur quelles thématiques ?

Sur la diaspora, par exemple. Parmi les gens quittent le pays beaucoup de personnes meurent. On a donc essayé de créer une cellule d’informations aux migrants qui est spécialement chargée de donner des informations à une personne qui veut partir : Que doit-elle faire comme démarche ou acquérir avant d’aller dans ce pays ? Nous sommes toujours en contact avec certains pays, comme le Gabon, pour connaître l’état du marché de l’emploi par exemple. On accompagne beaucoup ces personnes, on les informe et les conseille pour éviter les problèmes et les dangers.

A côté de ce travail d’accompagnement, faites-vous du plaidoyer ?

Cette année, nous avons fait un grand travail grâce auquel la diaspora togolaise, lorsqu’elle revient au pays, ne doit plus montrer de visa. Avant, il leur en fallait un. Aujourd’hui, lorsque tu es Togolais et que tu rentres, tu n’as plus besoin de présenter ton visa ou de payer quoique ce soit, tu es libre de rentrer au pays.

Pourquoi l’académie Milawoe est importante pour toi ?

L’académie, c’est un mélange d’éducation populaire et d’éducation à la citoyenneté. C’est lors de l’académie que nous apprenons beaucoup de choses et que beaucoup de membres de Visions solidaires apprennent à animer pour la première fois ou pour se perfectionner. L’éducation populaire c’est se changer soi et sa cité. Chaque année, des personnes d’Europe viennent participer à l’académie pour partager leurs expériences avec nous et c’est ce qui nous enthousiasme. Comme on ne finit jamais d’apprendre, je suis sûr qu’on continuera à organiser l’académie chaque année !

Rouki, étudiante en sciences biomédicales

Quel est le sens de ton engagement ?

Je veux contribuer au développement de mon pays et pour cela il faut que j’intègre une association qui a cet objectif-là car je ne peux pas le faire seule. Visions solidaires s’engage sur beaucoup de thématiques différentes et ses actions sont concrètes, tu peux voir le changement que cela apporte. Mon engagement me permet aussi de me développer personnellement et d’acquérir de nouvelles connaissances.

Yawowi, impliqué dans le programme Handivalid

Quels sont les enjeux de l’éducation à la citoyenneté au Togo, selon toi ?

C’est pour apprendre et faire apprendre d’autres personnes aussi. Ce n’est pas seulement sur les bancs de l’école qu’on apprend. C’est une manière de nous approcher de la population pour faire de l’éducation.

Est-ce que tu penses qu’il y a une dimension politique dans ce que tu fais ?

Oui. C’est pour cela que nous sommes là. Pour mobiliser les enseignants et pour qu’ils mobilisent la population (les parents, par exemple) à travers les élèves. Pour moi, c’est ça l’éducation populaire, c’est la politique que nous sommes en train de mettre en place pour que le monde change de mentalité.

Et vous avez eu l’impression d’obtenir des résultats ?

Bien sûr, la participation des enseignants à nos ateliers nous encourage. Et eux aussi, ils se sont engagés à ne pas rester les bras croisés, ils vont faire leur devoir pour que le monde change. Par exemple, ils ont arrêté de désigner des personnes par leur déficience. Ils ne disent plus « l’handicapé », maintenant ils l’appellent « personne handicapée » ou « personne en situation de handicap »…

Ou « personne » tout court ?

Oui, car ce n’est pas porteur d’appeler une personne par sa déficience ou ses manquements.

Joseph, étudiant en philosophie

Que viens-tu chercher à l’Académie Milawoe et qu’y trouves-tu ?

J’ai décidé de venir quand j’ai vu le thème, la vision, et l’objectif de l’académie. Apprendre comment vivre ensemble avec les autres citoyens en société, pour aider la société et bien savoir vivre en communauté. Pour moi l’éducation à la citoyenneté, c’est réfléchir ensemble à comment vivre dans la cité, à comment se comporter au sein d’une communauté. C’est ça qui est la base du développement d’un pays.

Et en quoi est-ce important dans le contexte togolais ?

Ça éveille la conscience de la population, surtout avec l’éducation populaire qui est destinée à tout le monde. Ça permet de conscientiser les jeunes togolais.

Concrètement, ça apporterait quoi comme changements que les citoyens soient plus critiques ?

Que tout le monde se sente responsable de tout ce qui se passe dans la société, le respect du prochain, la confiance. Cela permettrait que la société puisse avoir confiance en chaque citoyen également. Si tu as un bon comportement civique, c’est bon pour le développement du pays.

Kelly, artiste, webmaster et sérigraphe

Quel est le sens de ton engagement ?

J’aime partager ce que je connais avec les autres et apprendre en retour, échanger les expériences et tout ce que chacun connait, l’apprentissage mutuel.

En quoi cela sert-il le Togo ? Pourquoi l’éducation à la citoyenneté ?

Nous sommes dans une société qui rencontre des problèmes et où des personnes vivent dans l’ignorance. Nous voulons partager avec ces personnes des manières de sortir de cette ignorance. L’Académie Milawoe, par exemple, est là pour faire connaître l’éducation populaire et partager des moyens qui permettent de faire face aux problèmes de société qu’on rencontre.

Pourquoi vouloir sortir les gens de l’ignorance ?

Cela fait reculer l’homme s’il n’est pas au courant de ce qu’il se passe. Par exemple, si on te dit de ne pas jeter tes ordures comme ça dans la rue mais que toi tu ne connais pas l’importance de la protection de l’environnement, tu ne verras sans doute pas l’intérêt de ne pas jeter tes ordures dans la rue. C’est à nous de faire savoir que cette protection joue un grand rôle dans notre vie.

Tu penses que c’est l’ignorance le plus gros problème au Togo ?

Oui, les gens ne sont pas informés, et il va falloir qu’on s’approche du public pour faire passer ces messages. Au fur et à mesure, eux aussi poseront des questions auxquelles on pourra répondre.

Et qu’apprends-tu grâce à ce travail de sensibilisation ?

J’apprends beaucoup de choses lors des animations d’atelier, tu partages et tu reçois. En enseignant quelque chose, tu apprends au fur et à mesure. Par exemple, avant je ne savais pas comment me tenir devant un public pour parler. À Visions solidaires, on a l’occasion de s’exprimer devant des gens, c’est comme ça que j’ai gagné en confiance et que je me suis amélioré dans ma manière de m’exprimer en public. Je ne dis pas que je suis prêt à le faire, mais à Visions solidaires, on peut s’essayer et s’améliorer au fur et à mesure en faisant.

Dans quel groupe travailles-tu ?

Dans le programme Action et solidarité nous travaillons surtout sur l’échange culturel. Nous suivons des volontaires français avec qui nous échangeons nos expériences pour permettre un brassage culturel.

C’est la rencontre ?

Pas la rencontre, mais l’échange.

Transcription de Cristel Cappucci