Auto-défense intellectuelle à l’usage de ceux et celles qui se méfient de la collapsologie.
Ce numéro s’ouvre par un article de Roland Gori qui revient dans l’Histoire pour partager avec nous le sens de l’effondrement chez les anciens et la différence de sens chez nous, Modernes ; avec une attention particulière aux conséquences éventuelles de la prolifération de discours de l’Apocalypse qui tendraient à faire le miel de la pensée réactionnaire. « La peur pourrait y déployer la puissance de sa fonction politique », y rajoute-t-il.
Cet article est suivi par un entretien avec Jean-Paul Engélibert autour des fictions sur l’apocalypse et l’effondrement en Occident depuis 200 ans. Il est intéressant de noter que cette idée d’effondrement n’est pas neuve et a préoccupé beaucoup d’auteurs. La fiction ouvre, selon lui, de nouvelles voies intéressantes pour construire des alternatives.
Jérémie Cravatte fait lui le pari de la critique des approches des collapsologues en vue de dépasser l’effondrement. Il note, par exemple, que « comme de nombreuses personnes l’ont fait remarquer, une compilation transdisciplinaire, aussi utile soit-elle, ne produit pas en soi un nouveau savoir ». Il essaie également de démonter ces « analogies à grands coups de métaphores entre des réalités incomparables : système immunitaire d’une personne et système capitaliste, « écosystème » et Internet, ... », qui ne sont basés sur rien mais permettent avec simplisme l’adhésion de tout le monde.
Olivier de Halleux poursuit les réflexions critiques sur la collapsologie avec un article de critique politique sur les effets « démobilisateurs » de l’effondrement en notant que « parler d’effondrement est en effet particulièrement écœurant lorsque des millions de personnes tentent de survivre sur notre planète » et en insistant sur le fait que « le nihilisme de la collapsologie est profondément problématique lorsqu’on souhaite s’attarder au changement. »
Le troisième article critique de ce numéro, écrit par Guillermo Kozlowski, met en exergue, en s’en réjouissant, le fait que « La conscience des hommes blancs n’a pas la puissance de maîtriser le monde, c’est cette promesse qui s’est effondrée, et c’est une excellente nouvelle ! » tout en notant que ce récit de l’effondrement renferme « toujours la même promesse rassurante d’un nouveau départ. Un peu comme la fin dans les films hollywoodiens, quand tout semble perdu, le monde est sauvé par un coup de dés miraculeux ».
Laurent Bernard offre un intéressant contrepoint sur l’effondrement des êtres s’insurgeant « contre tous ces mots qui réduisent notre capacité réflexive ».
Ruth Paluku-Atoka tient par la suite des propos poignants sur l’effondrement. Elle rappelle le fait que l’effondrement décrit une forme de priorité et que la prolifération de ces discours sur l’effondrement dénote peut-être d’une conscience que « nous, maintenant, on est en danger ». C’est surtout cela qui expliquerait le succès de ces discours. Pour elle, « quand on le prend d’un point de vue occidentalo-centré, l’effondrement a un sens. Mais dans le cadre de personnes de la diaspora, par exemple, l’effondrement ne correspond à aucune réalité sociale ».
Chafik Allal clôture ce numéro avec un article sur un exemple d’effondrement singulier et territorialisé dans l’histoire récente : celui conséquent aux essais nucléaires de la France en Algérie dans les années 60. Comment vit-on avec les traces, que dis-je, avec les restes de ces essais jusqu’à aujourd’hui ? En effet, il serait temps, avant d’aborder des questions d’effondrement, d’affronter le trouble de son histoire et de participer à dépasser les effondrements produits - en son propre nom - chez les autres. Si l’effondrement concerne l’humanité entière, comme le clament les collapsologues, alors il faut d’abord apurer les « dettes effondristes » qui ont consisté à produire des effondrements ailleurs pour son propre profit. A ce prix, et à ce prix seulement, cela pourrait inciter d’autres, ailleurs, à écouter, et peut-être un jour être intéressés.
Bonne Lecture !
“Le riche a honte de sa richesse et sait que, si le malheur se dresse, la richesse est une sablière qui s’effondre.” Horace