S’il existe une certaine culture de l’évaluation en matière de coopération au développement, ce n’est pas encore le cas pour l’éducation au développement, par Corine Capdequi Peyranère
L’arrêté royal de 1997, qui est venu modifier l’agrément et la subvention d’organisations non gouvernementales de développement et de leurs fédérations, incite les ONG à faire l’évaluation interne de leurs activités. Dans ce sens, les ONG doivent dépenser au minimum 1% des subsides reçus pour la mise en œuvre de leur programme quinquennal. Nous arrivons à la fin du premier plan quinquennal. Certaines ONG ont mené à bien des évaluations internes mais nombre d’entre elles ne l’ont pas encore fait.
L’éducation au développement est une branche récente de la coopération au développement. C’est au long des années nonante qu’elle a pris de l’importance dans le cadre de la coopération au développement, amorçant une tendance qui s’est vu amplifiée sous l’impulsion notamment de l’ancien secrétaire d’Etat à la coopération au développement Réginald Moreels. En effet, c’est à partir de l’arrêté de 1997 que les ONG peuvent présenter un programme comprenant des actions d’éducation au développement.
La notion d’éducation au développement a connu ces dernières années bien des définitions et recouvert bien des contenus, de la récolte de fonds au lobbying, en passant par la tenue de conférences et des animations. Toutes ces manières de faire et d’envisager l’éducation au développement l’ont été en fonction des courants socio-politiques et des tendances idéologiques. Aujourd’hui, l’éducation au développement tend à s’enrichir d’un regard critique sur elle-même et ne cesse de se questionner pour envisager des actions toujours plus pertinentes. Autour de la définition qui semble rencontrer bien des adhérents, sans pour autant être acquise comme définitive, proposée par le Réseau d’éducation au développement Nord-Sud [1], les ONG ont des objectifs et des démarches particulières et des publics spécifiques : l’une axe sa réflexion et ses actions sur la notion de genre tandis qu’une autre le fait sur le rôle des médias dans le développement, l’une se dirige vers un public d’adolescents et une autre le fait vers le milieu politique. Ainsi, elle doit adapter constamment sa réflexion et ses contenus aux contextes social, économique et politique. L’évolution constante, et certes pas linéaire de ces contextes, modifie notablement les modes de penser, de faire, d’agir et de concevoir ses relations à autrui. Or l’éducation au développement cherche précisément à modifier ces modes comportementaux compte tenu des contextes dans lesquels ils évoluent. Tâche ardue s’il en est ! Certains diront qu’il faut peut-être revoir les ambitions à la baisse…
D’après la DGCI, jusqu’en mars 2001 seul un petit nombre d’ONG avaient entrepris une évaluation dans le cadre du 1 %. Ce fait peut s’expliquer par l’absence de mesure contraignante liée à l’utilisation de ce 1 %, qui, s’il n’est pas utilisé, doit tout simplement être rendu à la DGCI. Ce point est néanmoins à l’ordre du jour à la table de concertation entre la DGCI et les ONG en vue de sa modification éventuelle. Puis, les ONG auraient-elles peur des résultats des évaluations, qui doivent être joints aux rapports d’activité à remettre à la DGCI ? N’associaraient-elles pas la dgci au professeur qui note et l’évaluation ne rimarait-elle pas alors pour elles avec sanction ?
D’autre part il est à noter que s’il y a déjà une certaine culture de l’évaluation en matière de coopération au développement —les scandales dits des éléphants blancs des années quatre-vingt n’y sont pas étrangers—, il n’y a par contre pas encore de véritable culture de l’évaluation pour le domaine particulier de l’éducation au développement. Ce manque est particulièrement ressenti en matière de méthodologie, qui en est en fait un élément clé. Quels sont à cet égard les outils dont disposent les ONG ? Il y a d’une part la méthode de Planification des interventions par objectifs, PIPO, démarche traditionnellement appliquée par la coopération belge et qui axe l’évaluation principalement sur des aspects quantitativement mesurables. Mais si l’éducation au développement ne peut faire fi des aspects quantitativement mesurables, cela va sans dire, elle vise néanmoins des changements de mentalité et de comportement des publics bénéficiaires de ses actions. Changements de mentalité et de comportement qui ne sauraient être nécessairement le résultat d’une démarche unique ( une animation en milieu scolaire, par exemple ) mais le résultat d’un ensemble de facteurs, d’un contexte éducatif particulier et sans doute pas définitif puisque lui-même soumis à des facteurs extérieurs.
Un autre support méthodologique est proposé comme schéma de base pour une réflexion sur l’évaluation en éducation au développement par Thierrry De Smedt, chercheur à l’UCL. La méthode a l’avantage de considérer l’éducation au développement comme une branche particulière de la coopération au développement, mais aussi d’envisager les actions d’éducation au développement comme faisant partie d’un processus dont les éléments sont en permanente interaction et interdépendance.
Outre ces points qui peuvent êtres considérés comme des freins potentiels, il nous semble qu’il en est un d’important, peut-être d’autant plus important qu’il est moins explicite. L’évaluation est souvent considérée comme un outil critique et constructif permettant d’améliorer une activité. En revanche, il n’est moins souvent perçu comme un moyen de porter un regard sur un mode d’organisation et de fonctionnement. Les membres des ONG s’ils sont prêts à accompagner une évaluation de leurs produits, semblent en revanche moins disposés à entendre des remarques, suggestions et critiques sur le mode d’organisation interne. Or, s’est se leurrer et biaiser l’évaluation que de se contenter d’évaluer un produit. Car derrière une activité, il y a des hommes et des femmes qui s’organisent en fonction des objectifs mais aussi de leurs affinités, de leurs goûts, de leur sensibilité, de leurs compétences. Il ne s’agit pas de modifier des manières d’être mais d’accepter qu’un regard critique se pose sur un mode fonctionnement qui conditionne aussi la qualité, la viabilité, l’efficience, des outils et des activités. Evaluer, c’est aussi revaloriser les ressources humaines pour améliorer la qualité du travail, mais cette démarche qui consiste à revoir ces équilibres instables peut parfois être ressentie comme fortement déstabilisatrice.
[1] « L’éducation au développement est un processus qui vise à entamer une réflexion analytique et critique sur les relations entre le Nord et le Sud. C’est une éducation qui cherche un changement de valeurs et d’attitudes individuelles et collectives en vue d’un monde plus juste, dans lequel tous peuvent partager pouvoir et ressources. Cette approche nécessite la compréhension des causes et dysfonctionnements qui en résultent aussi dans notre propre société ».