Pour que les citoyens d’une société mondialisée puissent se battre pour plus de justice, il leur faut quelques aptitudes. Bien sûr, chaque activité éducative ne peut pas construire toutes ces aptitudes à la fois, par Annette Scheunpflug
Le développement d’une société mondialisée fait face à des défis complexes : l’augmentation constante des inégalités entre le Sud et le Nord et entre les groupes sociaux, de l’utilisation des ressources naturelles, des migrations, des guerres et de l’insécurité. Les conséquences varient grandement au Nord et au Sud, comme on le voit dans la consommation des ressources naturelles et la répartition inégale de la richesse.
Il y a ensuite une dimension temporelle. La mondialisation provoque un rétrécissement du temps et une accélération des changements sociaux. C’est à la fois une conséquence et une cause du changement mondial. La communication s’accélère et modifie le rythme de vie de l’humanité. Dans certaines parties du monde la vitesse du changement social a dépassé la succession des générations, antérieurement vue comme un conflit entre modernité et tradition.
Troisièmement, il y a la dimension spatiale. Avec la mondialisation, des choses perdent leur ancrage. La mondialisation redéfinit l’espace qui perd de son importance avec les médias et l’internet. Les gens participent à des événements sans y avoir participé. Et pourtant, en même temps, l’importance de l’espace pour l’action à échelle locale existe toujours. On parle de « contextes mondiaux ». De nouvelles structures surgissent qui ne sont plus structurées par les Etats nationaux et l’ordre hiérarchique est bouleversé par les réseaux.
Enfin, toutes ces caractéristiques sont liées à la dimension sociale de la mondialisation. La distinction entre ce qui semble étranger ou familier n’est plus une question géographique ou spatiale mais une question de fragmentation sociale. On peut voir un élargissement des écarts entre privilégiés et marginalisés, un polarisation entre les sociétés et à l’intérieur.
Dimension factuelle : La question de la connaissance et du manque de connaissances. Il faut d’abord connaître les défis à échelle mondiale, tout en étant conscient que la connaissance sera souvent insuffisante. L’élément clef, c’est leur complexité et leurs interactions. La connaissance de la société sur ces défis augmente. En même temps le manque de connaissance individuel augmente aussi. Connaissance et manque de connaissance augmentent simultanément. Il faut pouvoir gérer cette situation et adapter nos décisions. Nous devons apprendre à gérer des problèmes abstraits faisant partie de notre expérience personnelle.
Dimension temporelle : Gérer la certitude et l’incertitude. La vitesse du changement temporel nous oblige à faire face au manque de temps. Faire face à cette pression et à l’incertitude devient de plus en plus important et nous oblige à apprendre à faire la distinction entre ce qui est certain et incertain.
Dimension spatiale : Gérer les relations locales et l’absence d’espace. Il nous faut apprendre à gérer cette absence d’espace dans la mondialisation. Si notre contrôle de l’espace n’est plus dans une relation locale claire, nous avons besoin de notre imagination pour penser les conséquences d’une action dans d’autres régions.
Dimension sociale : Traiter avec la familiarité et l’étrangeté. D’une perspective sociale, nous devons apprendre que la familiarité et l’étrangeté ne sont plus connotées par la dimension géographique. Cela veut dire accepter des relations sociales avec des personnes absentes.
Sur la dimension factuelle
Connaissance d’une société mondialisée : Les points principaux sont la justice sociale et le développement durable pour donner des chances à tous. Cela veut dire connaître les ODM, les conditions de vie dans les différentes parties du monde, connaître la Convention sur les droits de l’enfants.... Les débats sur la dette, les accords mondiaux et les grandes organisations internationales comme l’OMC, les politiques de prévention, etc.
Gérer les contradictions et les changements de perspective : Prendre en compte la complexité signifie accepter que l’on peut se tromper même si on connaît beaucoup. Beaucoup d’informations sont contradictoires, par exemple l’information de Greenpeace et celle d’une compagnie pétrolière. Des accords mondiaux qui sont des dangers et des défis pour les pays du tiers monde. Les campagnes et activités éducatives doivent transmettre ces contradictions sinon elles manquent leur but. L’éducation mondialisée doit aider à prendre des décisions dans des conditions de manque de connaissances. Des solutions unidimensionnelles pour des problèmes sociaux complexes correspondent souvent au besoin de sécurité pour le public ou avec la nécessité d’un travail de pression politique mais ce n’est pas utile en termes de processus d’apprentissage. Nous devons créer un apprentissage dans lequel les contradictions offrent des opportunités d’apprentissage. C’est un point crucial dans les campagnes. Il faut donc cultiver les changements de perspective pour une éducation de qualité, construire de nouvelles structures pour la pensée et encourager à ne pas voir le monde uniquement en noir et blanc.
Action concrète et pensée globale : L’action concrète est motivante et permet de mettre la dimension globale dans un contexte local. « Agir localement et penser globalement ». L’éducation globale, c’est plus que s’approcher des cultures pour créer une proximité sociale. C’est mettre ces activités dans un contexte de justice sociale, dans le contexte des enjeux d’une société dans son ensemble. Cela veut dire combiner ces activités avec une réflexion sur la vie dans une société mondialisée. Des réflexions sur les complexités du monde aident à rassembler les expériences individuelles disparates. On peut trouver de bons exemples sur ces aptitudes dans le commerce équitable.
Sur la dimension temporelle
L’accélération du changement social, plus rapide que la période d’une génération, fait que l’incertitude est un sentiment dominant dans la société mondialisée. Quelles aptitudes ?
Compétences pour structurer, avoir des méthodes : Il faut savoir structurer des problèmes complexes. L’apprentissage doit donner la possibilité de construire son opinion propre. L’éducation offre la possibilité de constater qu’il n’y a que très peu de décisions que nous pouvons faire nous-mêmes. Elle aide à prendre la mesure de ces possibilités et à réagir. C’est nécessaire de montrer les possibilités constructives pour faire face aux conflits que des individus ne peuvent résoudre. Les solutions unidimensionnelles pour résoudre la complexité doivent être évacuées rapidement. Il faut montrer comment on peut faire face individuellement à ces problèmes.
Etre conscient du changement social : C’est plus facile de gérer l’incertitude personnelle si l’on sait que cela fait partie du développement global et pas du résultat d’un comportement individuel. Par conséquent, l’éducation future est une contribution importante pour l’éducation mondialisée.
Sur la dimension spatiale
Apprendre à accepter les défis de la mondialisation sans les contextes locaux
Parfois la dimension locale d’un problème n’existe pas. C’est le cas des campagnes contre le brevetage des semences dans les pays en développement (ce qu’on appelle la bio piraterie). Il n’y a pas d’activité correspondante au Nord, à échelle locale.
Identifier des réseaux et utiliser les rencontres : Nous avons souvent des préjugés sur la vie à l’étranger influencés par les médias (par exemple, la vie rupestre en Afrique et les baobabs alors qu’il y a des villes qui comptent plus d’habitants que nos plus grandes villes). Il faut différentier nos perspectives et faire attention à ne pas sauter dans le piège des stéréotypes.
Utiliser des espaces virtuels et concrets : Pour communiquer et les différencier. Des contacts électroniques peuvent être plus simples que des services postaux. Néanmoins c’est encore une défi pour créer des plate-formes internationales pour une éducation mondialisée.
Sur la dimension sociale
L’apprentissage doit contribuer à ce que le familier et l’étranger ne sont plus organisés par des catégories géographiques.
Connaissance des différents modes de vie, cultures et religions : Tous les enfants du monde jouent, ont des parents, des amis, vont à l’école, s’amusent et ont des chagrins. En faisant le lien avec le contexte dans lequel nous vivons, c’est plus facile d’accepter les ressemblances et les différences.
Acquérir des compétences de communication interculturelle : C’est important de communiquer avec d’autres sans racisme ni paternalisme. Par exemple, utiliser des exercices identifiant et transformant le racisme caché en un langage de reconnaissance. Il faut apprendre à gérer d’autres langages, à s’exprimer avec des personnes de différentes langues, à respecter la diversité culturelle.
Expériences sociales : L’éducation à la citoyenneté mondiale doit être intégrée à l’éducation sociale. Cela fait partie de l’apprentissage au respect, à la politesse, à l’ouverture et au changement de perspectives, à l’empathie.
En résumé, l’éducation à la citoyenneté mondiale veut dire avoir des aptitudes pour vivre dans un société mondialisée mais aussi transformer notre monde globale en un monde juste et durable. De nombreuses aptitudes sont nécessaires. L’éducation à la citoyenneté mondiale n’est pas un concept uniforme mais une attitude de questionnement vis-à-vis du besoin de faire partie d’un monde juste. L’apprentissage constructif (« bildung »), c’est à dire se préparer à vivre dans un monde de contradictions afin de pouvoir contribuer à plus de justice et de solidarité.
Annette Scheunpflug est professeur à la Friedrich-Alexander Universität, Erlangen-Nürnberg, Allemagne. Ce texte a été traduit de l’anglais et adapté par Brigitte Gaiffe.