« En vingt ans, nous avons assisté à une diminution continue du nombre de terrains et de places d’accueil disponibles pour les gens du voyage. Ce qui se passe dans la pratique, c’est qu’un groupe ethnique, une culture, est en train d’être tué ». Voici les propos de Koen Geurts du service Roms et gens du voyage, de l’association Foyer [1]. Ces propos illustrent bien la problématique du manque infrastructures d’accueil et les conséquences dramatiques pour les gens du voyage.
On estime qu’en Belgique, les gens du voyage seraient environ 10 000 bien qu’il soit difficile d’en estimer le nombre exact. Bien souvent, ils sont belges ou de nationalité européenne. Ils se déplacement le plus souvent pour des motifs professionnels, familiaux, religieux et culturels et exercent différents métiers notamment dans le secteur du commerce et des emplois saisonniers. Le terme « gens du voyage » s’applique à des familles et communautés aux réalités multiples dont le dénominateur commun est d’être culturellement attachés à l’itinérance. Cependant, l’absence et l’inadéquation des infrastructures d’accueil entravent de plus en plus la réalisation de ce monde vie.
« D’un côté, l’habitat est reconnu, mais de l’autre les gens sont partout expulsés. À Bruxelles, il n’y pas de politique de création de terrains publics et les gens qui possèdent des terrains privés sont toujours plus réticents à les mettre à disposition des gens du voyage » explique Koen Geurts. En effet, depuis 2012, en Région bruxelloise, la vie en habitat mobile est reconnue par la loi comme étant un mode de vie à part entière, force est de constater qu’en pratique, cela ne se reflète pas dans les politiques d’accueil.
Par conséquent, leurs conditions de vie se précarisent. Ils tentent tant bien que mal de préserver leur mode de vie itinérant en squattant des terrains par-ci par-là, courant le risque de se faire expulser. Ils en viennent à développer leurs propres stratégies de survie, certains en achetant une maison toute en continuant à vivre dans une caravane à côté. Ces dernières années, le Foyer a pu observer combien la raréfaction des structures d’accueil pèse lourd sur le moral des communautés des gens du voyage qui se sentent de plus en plus abandonnés.
En pratique, il existe différents types de terrains d’accueil. En premier lieu, les terrains résidentiels sont occupés par des familles qui continuent à vivre toute l’année dans des habitats mobiles, mais qui se sont sédentarisées (même si elles effectuent encore quelques voyages ci et là durant la belle saison). Aujourd’hui, la demande des gens du voyage attachés à Bruxelles est d’avoir accès à plus de terrains résidentiels qui assurent d’avoir toujours un chez soi. A Bruxelles, il y a un terrain résidentiel à Anderlecht.
Les terrains de transit (ou aires d’accueil) sont quant à eux exclusivement réservés aux gens du voyage qui peuvent s’y établir de façon temporaire, pour une durée maximale de trois semaines. Ils sont gérés par les communes ou les régions et équipés des infrastructures (sanitaires, eau, électricité) nécessaires pour la vie quotidienne. L’accès y est payant. C’est en quelque sorte un camping uniquement destiné au gens du voyage, qui dispose d’un règlement d’ordre intérieur. Dans les faits, les familles qui n’ont pas eu accès à un terrain résidentiel, faute de place, voyagent de terrain de transit en terrain de transit.
Enfin, il existe aussi des aires d’accueil temporaires, permettant l’installation très temporaire des familles et des communautés sur des terrains qui ne leurs sont pas nécessairement dédiés mais, qui, suite à des négociations avec les autorités communales ou régionales, peuvent être mis à leur disposition.
Comment se passe l’accueil des gens du voyage lorsqu’ils arrivent dans une ville ou un village ? En théorie, le séjour dans une aire d’accueil doit être réservé à l’avance auprès des communes. Celles-ci sont souvent fortement demandées et les listes d’attentes sont longues. A Bruxelles, il n’existe aucune aire d’accueil ce qui poussent les gens à se débrouiller comme ils peuvent en occupant des terrains en friche ou en négociant avec les propriétaires l’occupation d’un terrain privé. De plus en plus, les gens du voyage se déplacent en nombre, s’installent sur un terrain avant d’entamer les négociations avec la commune. La force du nombre leur permet d’être dans un rapport de force avec la commune et de pouvoir ainsi espérer gain de cause. Le problème, c’est que les terrains ne sont pas toujours aménagés en fonction des besoins du groupe et constituent une solution temporaire, donc très précaire.
A cela s’ajoutent encore d’autres difficultés, liées à la méconnaissance, la non-reconnaissance et à la non prise en compte des besoins spécifiques de ces communautés. Pour Koen Geurts « pour que les choses se passent bien, l’écoute et le dialogue avec les occupants du terrain sont essentiels. Il faut aussi un bon gestionnaire pour gérer le terrain (une personne désignée par la commune ou la région qui n’a généralement reçu aucune formation à l’interculturalité et ne connaissent souvent même pas la culture des gens du voyage). Les infrastructures sur les terrains d’accueil doivent également tenir compte des spécificités culturelles des communautés, et ce, dans l’organisation et disposition des espaces sur les terrains. Par exemple la bonne disposition des toilettes et des douches permettant un minimum d’intimité pour que les personnes se sentent en sécurité et puissent avoir une certaine intimité. Autrement, les expériences passées montrent que ces espaces ne sont pas utilisés.
Outre le manque de places disponibles et de terrains mis à disposition, ceux-ci se situent souvent dans des endroits peu hospitaliers : à côté des voies de chemins de fer, ou excentrées des centres urbains, ce qui rend la vie quotidienne plus compliquée. « Il y a 20 ans, lorsqu’il y avait plus d’aires d’accueil, les demandes des gens du voyage étaient d’avoir des terrains bien situés et de qualité. Aujourd’hui, les gens demandent juste un terrain ». Le choix de l’emplacement des terrains qui leur sont réservés laisse apparaitre les discriminations à l’encontre de ces communautés, repoussées des centres urbains comme s’il s’agissait de les cacher, de les écarter de la société sédentarisée. William Acker, en se basant sur une cartographie des aires d’aires accueil en France, avance l’idée que les gens du voyage sont victimes de racisme environnemental dans le sens où les aires d’accueil (spécifiquement conçues pour les accueillir) sont souvent construites dans lieux pollués et contaminés, touchés par diverses nuisances [2]. Si c’était le cas il y a 20 ans, aujourd’hui l’absence totale d’aires d’accueil en région bruxelloise témoigne d’une aggravation. Cependant, on ne peut pas à proprement parler transposer cette analyse à la situation bruxelloise puisqu’il n’y a aucune aire d’accueil sur le sol de la région.
La situation des gens du voyage ne semble pas prête de s’améliorer à Bruxelles. La Belgique dispose d’une stratégie nationale pour l’intégration des Roms (en ce compris les gens du voyage) [3] mais celle-ci ne prévoit pas la création de nouvelles aires d’accueil. Par le passé, il y a eu des tentatives pour remédier à ce problème mais elles ont échoué. En 2018, la Région bruxelloise avait lancé un appel projet à destination des communes volontaires pour aménager des aires d’accueil mais aucune commune n’y avait répondu [4].
Comment comprendre les rejets auxquels font face les gens du voyage ?
Les médias qui véhiculent un imaginaire négatif en les présentant comme des « voleurs » et des « personnes dangereuses » ont leur part de responsabilité. Mais la méfiance et le rejet qu’ils suscitent n’est pas un phénomène nouveau. Historiquement, les régimes autoritaires ont pourchassé les peuples nomades et cherché à les exterminer.
Tout au long de son développement, la modernité eurocentrique a imposé le sédentarisme comme étant une norme et sous cet angle, le nomadisme semble apparaitre comme un archaïsme à rejeter au nom du progrès. Ce qui se joue aujourd’hui, c’est la disparation d’un mode de vie ethnique « qu’on est en train de tuer », pour reprendre les mots de Koen Geerts.
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[1] Le service Roms et gens du voyage de l’asbl Foyer constitue un point d’appui pour toutes les personnes qui travaillent avec les Roms et les gens du voyage (école, services publiques, police, secteur de l’action sociale, etc.). Le foyer diffuse des informations sur les Roms et les gens du voyage et organise des formations. Le foyer dispose également d’une équipe de médiateurs qui interviennent au près des familles et des services sociaux.
[2] Plé, T. (Réalisateur). (2021). « Gens du voyage », assigné·es en injustice.[Podcast]. Kiffe ta race n°83. Binge audio
[3] Il s’agit d’une transposition au niveau belge d’une la recommandation du Conseil de l’Europe visant à assurer « l’égalité, l’inclusion et la participation des Roms ». https://www.mi-is.be/fr/strategie-nationale-dintegration-des-roms