C’est le vent qui souffle, les nouvelles viennent (proverbe mooré), par Antonio de la Fuente
J’ai passé quelques jours à Ouagadaougou en 2010 animer un atelier de renforcement de capacités d’acteurs associatifs burkinabés, sénégalais, marocains et belges, organisé par des ONG et des réseaux d’organisations communautaires burkinabés [1] et l’ONG belge Solidarité socialiste.
Dans ce cadre, j’ai eu à traverser la ville plusieurs fois par jour, du palais présidentiel, au milieu de la ville moderne de Ouaga 2000 -un ensemble spacieux de nouveaux bâtiments et de chantiers, ministères, ambassades, résidences, à l’entrée duquel trône une version bourrue et vaguement africanisante de la tour Eiffel-, au vieux centre, avec ses hôtels et ses banques, aux vastes quartiers populaires et même à ces trous béants provoqués par l’extraction de terre destinée à la production de briques. L’harmattan soufflait constamment.
Nous étions arrivés à Ouaga par un vol Air France depuis Paris. Avant que l’avion ne décolle de Charles de Gaulle, du fond de l’appareil on entendait la plainte d’un homme. « J’ai rien fait », criait-il, attaché au siège, entouré par deux policiers. Quelques passagers tentaient une timide réaction : « C’est inadmissible... ». Une hôtesse de l’air prononçait par haut-parleur de vagues excuses. Tant que l’avion était sur la piste -il tardait à décoller- l’homme se plaignait. Une fois l’avion décollé, il s’est tu, ce qui a permis aux policiers de se promener et de discuter avec l’équipage. A l’heure de l’atterrissage, à Ouaga, l’homme était toujours là...
L’atelier s’est bien déroulé. Pour certains participants, ce fut un peu difficile d’exercer un regard critique sur des projets de développement, comme c’était prévu au programme. Lorsqu’on apprend que le pourcentage de l’aide au développement atteint les trois quarts du PIB du pays, on peut comprendre.
A la pause-café, nous parlons laïcité. B, vieux pasteur peul, raconte l’option salomonique prise par son père, qui a eu en tout dix garçons et une fille. Il a divisé les garçons et a envoyé une moitié à l’école des Blancs et l’autre moitié à l’école coranique. Et la fille ?, lui ai-je demandé...
On a parfois du mal avec le concept de laïcité. Mais, on concède malgré tout, les Etats laïques sont parvenus à éviter quelques massacres. Le soir, en mangeant des tilapias sur la terrasse de l’avenue, on regarde le défilé incessant des vendeurs de toutes sortes de produits. Des poules de Guinée, des bricoles qui brillent dans l’obscurité, des affiches avec la tête du Christ.
Au musée mossi de Manéga, le meilleur c’est la salle avec les pierres tombales, que les chauves-souris ont recouvertes de leur odeur rance. De retour, la lumière à la tombée du jour semble bénir les arbres épars, les zébus, les petits ânes lents et les enfants qui saluent le passage de la voiture en faisant quelques pas de danse.
Pendant le trajet, on entend à la radio la nouvelle de la mort d’une des épouses d’un jeune roi villageois dans un incendie. Toute la cour s’empresse à sauver la forêt sacrée pendant que la femme, mère de trois enfants et enceinte d’un quatrième, meurt dans les flammes. Lorsque le jeune roi apprend la tragédie, il tente de se tuer mais on le lui empêche. Pauvre roi villageois, empêché de décider de la vie, de la mort.
Mais si la vie des gens est dure, que dire de la vie des animaux. Des poules vivantes pendouillent des camions, la tête en bas et de tristes vaches s’entassent méchamment. Les animaux courent libres dans les rues et sur les routes, provoquant parfois des accidents, mais, lorsque leur heure arrive, le pire est l’heure avant l’heure.
Le dernier soir, le gardien de l’ensemble de maisons où nous logeons nous reçoit euphorique. Le pays des hommes intègres sera de plus en plus grand, dit-il, en levant les bras au ciel. Le motif d’autant d’effusion est le fait qu’il nous a vus au JT. Les derniers événements peuvent lui donner raison, après tout. Je ne le dis pas pour nous, mais pour le Burkina Faso.
[1] ASMADE, UMUSAC, ATY-RAD/B, FGPN et CARTPL.