Socialiser, oui, mais comment ?, c’est la question qui ressort de cette lecture
Voici un petit livre qui accomplit un grand exploit : déployer un récit qui couvre plusieurs années de vie au Burkina Faso sur cent-cinquante pages sans que l’ombre d’un Burkinabé ne les traverse. Quoique, il y a quelques ombres, malgré tout, le long des dix-huit chapitres du livre, ce qui est à tout point de vue remarquable en l’occurrence : l’ombre d’un voleur qui s’infiltre dans la maison que l’auteure et sa famille occupent à Ougadougou, l’ombre du veilleur de nuit qui ne se réveille pas pour le stopper, l’ombre que l’incident jette. Il y a la cuisinière, qui apprend à l’auteure des expressions en mooré et qui est gentille avec les enfants, ainsi que la nounou et le reste du personnel de la cour qui se compose, en tout et pour tout, « d’un gardien de jour, et de deux de nuit, d’un cuisinier et d’une ménagère » ainsi que le vendeur de glaces endormi sur son chariot, sur la photo de couverture.
Et si le livre ne parle pas des Burkinabés, de quoi peut-il bien parler ? Il raconte en long et en large et surtout en long la vie de la femme d’un expat (faudrait-il dire une expatte ?). Une vie que, même si le portrait peut être joliment tiré dans l’émission Les Belges du bout du monde, comme le dit l’auteure elle-même, n’est pas pour autant une sinécure. C’est, même, « une série de chocs professionnels et culturels, auxquels vient se greffer un troisième choc affectif. Ce dernier s’explique par le manque de communication qui s’établit ente la conjointe et son époux, son entourage amical et familial resté en Belgique ou ailleurs. Le déphasage est d’autant plus fort que le lieu d’expatriation est assimilé à un lieu de vacances, idyllique aux yeux de l’entourage. Les amis ou la famille en profitent d’ailleurs souvent. Ils programment leurs vacances chez nous, là où le soleil brille en permanence ».
Mon chapitre préféré ? Socialiser, oui, mais comment ?, sans doute. La question se pose, en effet, à la lumière de ce compte-rendu d’une descente au repas du club hippique : « Plutôt coquette, j’aime m’habiller. J’avais sorti ma robe orange, mes bijoux, mes mules et du fard à paupières pour cette occasion. Je m’y suis sentie mal à l’aise. Le repas du club hippique, c’est à peine s’il ne faut pas y venir en bombe et en cuissardes. Nos avons dîné, j’ai conversé. Mon homme, lui, est resté muet. Décidément, malgré les efforts, c’est dur de se trouver chez soi à Ouaga. La vie d’expatrié nous balance sans cesse entre début et départ ».
Nous voilà prévenus.
Lafi, récit de vie au Burkina, Emmanuelle Lecomte, Rue des écoles, L’Harmattan, 2014.