Formateur à ITECO entre 1968 et 1971, Patricio Montecinos revient sur cette expérience, propos recuiellis par Antonio de la Fuente
Patricio Montecinos, tu as été formateur à ITECO entre 1968 et 1971. Peux-tu décrire la formation d’alors ?
Il s’agissait principalement mais pas exclusivement de la formation de volontaires belges qui cherchaient à travailler dans le tiers monde, dénomination qui commençait à se transformer en celle de pays en développement. Les objectifs de la formation étaient trois, si mes souvenirs sont bons : a ) former les candidats volontaires à une réflexion critique sur l’enjeu du développement pour y intégrer leur option ; b ) informer les participants sur les situations concrètes de développement des pays et des régions où ils voulaient partir ; c ) expliciter les différences culturelles, économiques, sociales et politiques entre le monde développé et celui en développement pour mieux percevoir les relations d’une véritable coopération entre eux.
« Un objectif important et discret était le suivi des participants, en particulier l’évolution de leur positionnement par rapport à leur option de volontariat. Avec le temps, certains participants réalisaient que les changements nécessaires des relations de développement devaient commencer à se faire en Belgique et en Europe et que, peut être, il valait mieux commencer ici une action pour changer les politiques de coopération plutôt que partir et se plonger dans le tiers monde dans un activisme vraisemblablement gratifiant a titre personnel mais politiquement insignifiant...
« Pour atteindre ces objectifs la formation incluait des cours de nature économique et sociale, de nombreux témoignages de toutes sortes, des débats en petits groupes, en séances de mise en commun ou en plénières. L’équipe d’ITECO comprenait quatre permanents : deux chargés de la coordination de l’ ensemble de la formation et deux responsables des aspects administratifs du cycle. Faisaient aussi partie de l’ équipe ITECO quatre animateurs du tiers monde. En trois ans, leur participation avait évolué, passant d’une présence informative à un appui pédagogique et technique.
« Chaque cycle était composé de neuf week-ends de formation que les candidats volontaires devaient réussir pour pouvoir partir. Les activités commençaient tôt les samedis matin. On partait en bus du siège d’ITECO, à l’époque à la rue Traversière, pour Dworp- Halle, aux installations du MOC, je crois. Dans mon cas, je partais avec toute ma famille, question de présence un peu plus complète du tiers monde. Je reconnais que mes enfants, scolarisés en Belgique, témoignaient mieux que moi de la différence culturelle...
« Parmi les participants, il y avait une légère majorité de femmes, une grande présence catholique (séminaristes, nonnes, curés), des universitaires, des gens de différents parties de la Wallonie, des Luxembourgeois, des Suisses, des Français et des Hollandais, des employés administratifs, quelques artisans et ouvriers, avec des motivations fort différentes pour partir comme volontaires. Cela pouvait aller d’une très forte prise de conscience à une volonté plus au moins claire de quitter son pays d’origine.
« Le boulot des animateurs était donc d’augmenter la connaissance et l’information des candidats à propos du tiers monde afin d’approfondir leur engagement et faciliter leur décision... et celle des organisations qui voulaient les recruter comme volontaires.
« La formation réussie à ITECO permettait à ces organisations de recruter des volontaires avec l’appui financier de l’AGCD. Celle-ci avait un cycle de formation similaire mais certains malgré le fait d’être laïcs préféraient suivre la formation d’ITECO... De cette façon, ITECO augmentait petit à petit le nombre de laïcs et de non catholiques parmi ses participants.
« Évidemment, à l’ époque les choses se passaient en français et en néerlandais. Nous étions quatre animateurs. Un Indonésien et un Congolais néerlandophones travaillaient avec le groupe flamand. Floribert Kaseba, un psychologue et pédagogue congolais, étudiant à Liège, et moi, nous travaillions avec les francophones.
As-tu retrouvé par après des personnes ayant suivi la formation ?
Oui ! Je dois dire que les relations tissées entre les participants et les animateurs francophones (je n’ en sais pas beaucoup du côté flamand), au cours de sept séances effectives et intensives, étaient fortes. Nous avons maintenu des contacts avec un de ces participants jusqu’à maintenant ; avec d’autres nous avons échangé pendant des années et, au cours de certains cycles auxquels j’ ai participé, nous avons reçu chez nous, à titre privé, sans liens de formation, un bon nombre de participants, qui suivaient ou qui avaient suivi la formation. Certains d’ entre eux nous ont invités chez eux. Deux de ceux-ci étaient des Flamands (et ils le sont encore !), je veux dire qu’ils suivaient le cycle en néerlandais. La connaissance de leur milieu de vie a facilité énormément, à Floribert et à moi, notre travail d’animation et de reformulation du cycle.
Avec la distance, as-tu le sentiment d’avoir œuvré à une activité qui avait du sens ?
J’en suis certain ! Au moins à titre personnel, je dois dire que cette expérience m’a permis d’être proche d’une dimension, partielle mais importante, de la coopération au développement qui est relativement difficile à saisir intellectuellement et pratiquement : les motivations de gens qui veulent coopérer. Le fait d’avoir refusé de façon catégorique de donner de leçons et de fournir des recettes en matière de développement m’a permis, avec le temps, de valoriser l’ attitude vers l’ action comme un préalable à la recherche de méthodologies d’action.
« La fonction de filtre que cette formation avait à l’époque m’a semblé importante tant pour empêcher des expatriations inutiles (qui étaient et sont encore possibles) que pour dévoiler une réalité politique plus accessible aux participants, c’est-à-dire une politique de coopération et de relations entre pays développés et en développement stratégiquement plus significative en vue des changements qu’ils souhaitaient.
« Oui, je crois que ma collaboration à la réalisation et à la réflexion de la formation de candidats volontaires à travailler dans le tiers monde de ces années a eu du sens : celui de la cohérence avec l’ époque et de la pertinence à la problématique de la coopération, comme on l’ entendait.
« Rien n’a dramatiquement changé dans le monde de la coopération au développement, mais la perception des La fonction de filtre que la formation avait à l’époque m’a semblé importante gens qui ont suivi ces cycles de formation à ITECO sur ces questions s’est trouvée changée. Cela fait partie des petites évolutions qui conduisent à des approches différentes des intérêts qui sont présents dans les relations Nord-Sud d’aujourd’hui... Oui, je crois que j’ ai participé à une action qui avait du sens et je crois que certains points de cette formation continuent encore à avoir du sens.