L’exclusion, perverse et polymorphe, par Antonio de la Fuente
Un peu partout en Europe, « les travailleurs migrants ou appartenant à des minorités ethniques sont regroupés de manière disproportionnée dans les catégories professionnelles les plus basses des secteurs d’emploi les moins prestigieux ». En matière de logement, « les groupes minoritaires, les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile sont régulièrement victimes de formes de discrimination et de racisme ». En matière d’éducation, ces mêmes groupes obtiennent les résultats scolaires les plus faibles et sont surreprésentés « dans les établissements les moins cotés et les classes d’éducation spéciale ». Telles sont les rudes conclusions du rapport 2005 de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes, basée à Vienne.
Par ailleurs, les statistiques montrent que, depuis des années, sur le continent européen le nombre de pauvres tourne autour de dix pour cent de la population. Le plus inquiétant est moins le chiffre que son caractère irréductible. Même si les conditions de vie s’améliorent dans l’ensemble, la société continue à exclure un nombre relativement invariable de ses membres.
Lorsque les pouvoirs publics ouvrent des antennes dans le but de récolter les plaintes de la population en matière de discriminations, les personnes qui les approchent expriment principalement des entraves dans l’accès à l’emploi et au logement, en raison de leur condition de pauvres, d’étrangers (ou stigmatisés en tant que tels) et, dans une moindre mesure, en matière de genre et d’identité sexuelle. Ce sont là les discriminations les plus perçues par le corps social. Ce qui renforce leur caractère coriace est le fait que ces discriminations s’amplifient les unes les autres. Etre femme peut dans certaines circonstances être un facteur d’exclusion. Etre femme, étrangère et pauvre l’est bien davantage. Une étude parlementaire récente en France montre de manière accablante que sur les huit principales professions exercées par les femmes immigrées sept sont des professions non qualifiées contre trois pour les Françaises.
Ces facteurs d’exclusion n’agissent pas seuls mais regroupés, si l’on peut dire, laissant souvent l’individu à la merci du pouvoir du groupe, les travailleurs devant des patrons et les actionnaires boulimiques de bénéfices, les associations de terrain devant le pouvoir des groupes d’intérêt et leurs puissants lobbys. L’exclusion est une bête perverse et polymorphe, pour paraphraser le vieux docteur viennois.
Si tel est le tableau qui reflète la réalité de nos sociétés ex-social-démocrates en matière d’exclusion, que dire des discriminations exercées couramment dans les pays du Sud. Etre sidéen au Malawi, pêcheur sur des eaux contaminées au Bangladesh, proche de disparu en Colombie, être un enfant dans une école où le racket règne en maître, malade dans un hôpital qui a plus d’un mouroir que d’un sanatorium, c’est hélas le lot quotidien d’une majorité de la justifiées que si la société en tire elle-même un plus grandavantage, affirmait John Rawls. On est loin du compte. Sartre, quant à lui, affirmait que le vrai visage de la société se montre dans ce qu’elle fait au plus faible de ses membres.
Regrouper dans cette publication ces réflexions et activités en matière d’inclusion et d’exclusion nous a été inspiré par la participation d’ITECO à un projet d’échanges à ce sujet à échelle internationale. Le défi pour nos associations et pour chacun d’entre nous, en tant qu’individus, de contrer les discriminations se joue partout et au jour le jour.