La politique expliquée par les jeunes, par Antonio de la Fuente
La préoccupation pour les jeunes et leur lien avec la politique n’est pas récente à ITECO. La plupart des participants aux formations d’ITECO, notamment à la formation d’orientation « Ici ou ailleurs, que faire ? », sont des personnes jeunes qui ont fini leurs études et tentent de trouver une place dans la société et un travail qui, dans le meilleur des cas, apporte un surplus de sens à leurs vies. Ainsi, la statistique montre que la moyenne d’âge des participants à la formation de base d’ITECO est de 28 ans.
Sur base de ce constat et voulant approfondir le travail d’ITECO avec les jeunes, au milieu des années nonante nous avons conduit un projet à échelle européenne en vue de mieux connaître les changements qui se produisent dans la culture des jeunes et, de manière plus particulière, la représentation des rapports Nord-Sud dans l’esprit des jeunes.
Dans le droit fil de cette réflexion, nous nous posons à présent la question de la perception que les jeunes ont de la politique et des changements sociaux. Nous constatons, au contact avec les jeunes, que ceux-ci portent un regard positif sur la notion de citoyenneté mais se méfient voire rejettent la notion d’engagement politique. Est-ce un phénomène contradictoire ?
A la fin de l’année 2008, un secteur de la jeunesse grecque a fait sentir sa voix avec une détermination plus qu’affirmée dans la rue et par des actions parfois violentes. Une présence massive des jeunes dans la rue n’est-elle plus de mise ailleurs en Europe ? Les aspirations des jeunes se laissent-elles canaliser à travers le système politique ? Est-ce que provoquer des changements de taille dans la société fait partie des aspirations des jeunes ?
Les élections régionales et européennes de juin 2009 en Belgique ont apporté leur lot d’appréciations sur la perception que les jeunes ont de la politique et les partis. A ce propos, nous avons été surpris par la persistance de la lecture des adultes sur les jeunes en termes de divorce consommé entre jeunesse et politique, deux voies parallèles condamnées à ne jamais se toucher.
Et pourtant, en lisant les chiffres et en écoutant les jeunes, le constat que l’on peut tirer est tout autre, à savoir que, comme les autres classes d’âge, les jeunes s’intéressent à la politique, sont persuadés que la voie du changement social passe par là, même s’ils ne se font pas des grandes illusions quant à la capacité du système politique à instituer le changement social et surtout quant à la capacité des hommes politiques à porter ce changement.
ITECO a dès lors décidé de consacrer ce numéro d’Antipodes à la question. Pour connaître de près le point de vue des jeunes et en même temps leur céder la parole. Nous avons ainsi publié en juin 2009 sur le site d’ITECO quelques questions ouvertes que nous avons adressées aussi par mail à un fichier de contacts. Tout au long de l’été, nous avons récolté les réponses et, lorsqu’elles ont atteint le nombre des cinquante, nous avons mis fin au sondage et sommes passés à l’analyse ces données en vue de cette publication.
Voici donc une synthèse des réponses de cinquante jeunes Belges et Français à la question du rapport entre les jeunes et la politique.
Les jeunes ayant répondu ont tous entre 18 et 30 ans, ce qui est la tranche d’âge communément utilisée pour délimiter la jeunesse. Ils sont majoritairement des femmes (64 %) face à 36 % des hommes.
Presque trois quarts d’entre eux (72 %) suivent ou ont suivi des études universitaires tandis que 28 % n’ont pas été à l’université.
Enfin, plus de la moitié d’entre eux travaillent de manière active (52 %), tandis que 40% sont des étudiants et 8 % sont des demandeurs d’emploi.
Huit questions étaient soumises à l’appréciation des jeunes. La première d’entre elles était celle-ci :
A peine 10 % des réponses sont affirmatives. La grande majorité (84 %) donne une réponse négative (42 %) ou mitigée (42 %). La tendance est donc ouvertement au pessimisme. Et les raisons de cette inquiétude se trouvent majoritairement du côté de la menace environnementale et surtout dans le manque ou l’insuffisance de réponse politique à celle-ci.
« Je crois que la Terre ira moins bien qu’aujourd’hui car nous ne faisons pas grand-chose pour réduire notre empreinte écologique » est une réponse qui résume assez bien le point de vue pessimiste. La disparition de la biodiversité, les OGM, l’alimentation industrielle et le réchauffement climatique sont des réalités qui poussent au pessimisme.
Sur un autre plan, la réduction des droits sociaux, « l’argent roi » et la détérioration de la qualité des rapports humains malgré les nouvelles technologies de l’information (ou à cause de celles-ci) sont aussi cités en tant que questions qui poussent à porter un regard sombre sur l’avenir.
Parmi les réponses mitigées, cette formule-ci résume bien la teneur, le pessimisme malgré tout confiant des jeunes : « Meilleur, je n’y crois pas… Moins pire, je l’espère ».
Le pessimisme contenu dans la première réponse est contré par la réaction à la deuxième question : trois quarts (74 %) des répondants affirment que la possibilité de changement portée par les jeunes est bien réelle. Ceux qui n’y croient pas par contre sont à peine un petit 8 %.
Entre les deux, 18 % croient que les jeunes peuvent changer la réalité si on leur laisse une place, si on leur donne des clés pour comprendre. « D’autres ont essayé avant et ne sont pas arrivés » est un autre argument avancé pour douter du changement porté par les jeunes. Certains font valoir aussi qu’à présent la démographie ne joue pas en faveur des jeunes. « Difficile de changer le message si ce sont toujours les mêmes qui tiennent le micro ». Et puis, la jeunesse elle aussi doit faire face à ses propres contraintes.
A la question concernant les actions à mener pour changer la société, celles-ci seraient principalement :
A noter que seulement une personne a répondu que l’action syndicale est une voie pour changer la société.
Une majorité significative de jeunes (58 %) affirme son intérêt pour la politique et une minorité (14 %) exprime clairement son désintérêt, voire son dégoût de la politique : « C’est une discussion de sourds où chacun veut satisfaire ses intérêts ».
Entre les deux, un peu plus d’un quart des répondants (28 %) disent s’intéresser à la politique mais pas à la politique belge, pas au show, au folklore, pas à la politique des partis traditionnels vue comme hermétique, stérile, démobilisatrice. « Démagogie dans la politique, ce n’est pas bon, nous n’en voulons pas », chantent les Maliens Amadou et Mariam, et les jeunes semblent partager cet avis.
A cette question, les jeunes répondent non à une grande majorité (62 %). Les autres se divisent entre ceux qui se croient suffisamment formés pour s’investir en politique (19 %) (et il y en a qui s’investissent déjà activement) ; et ceux qui avancent une réponse nuancée.
Parmi les arguments de ces derniers il y a le fait qu’ils ne se sentent pas de taille à affronter les « grandes gueules » de la partitocratie, à mener des rudes négociations et avoir une vision large et stratégique pour mener des politiques publiques, à travailler 12 heures par jour, à parler en public. D’une manière générale le terrain politique est perçu comme une arène âpre, sans pitié même, où il n’y a pas ou peu de place pour des rapports amicaux et où il faut assumer des manières tranchantes.
La dernière question du sondage porte sur le vote, les partis et les candidats. 45 % des répondants disent ne pas voter pour des candidats jeunes, car ils privilégient l’orientation politique, le programme, voire la personne du candidat mais pas son âge.
Un tiers d’entre eux (33 %) votent pour des candidats jeunes sans en faire une exclusive. Et 22 % d’entre eux votent exclusivement pour des candidats jeunes car ils y voient le moyen de renforcer la place des jeunes dans la vie politique, d’introduire des formes nouvelles dans cet espace et de contrer la prise de pouvoir des autres classes d’âge. Les candidats jeunes sont vus aussi comme plus aptes à comprendre et porter les préoccupations des jeunes.
A la sous-question concernant l’identification à un parti politique, une courte majorité (52 %) répond affirmativement, tandis que 37 % d’entre eux ne s’identifient à aucun parti politique et 11% le font uniquement de manière relative.
En synthèse, le pessimisme concernant l’environnement et les acquis sociaux est de mise. Mais, corrélativement, l’optimisme concernant l’élargissement croissant de la notion de citoyenneté et la foi dans la force transformatrice que représente la jeunesse sont les traits dominants pour ce qui est du regard que les jeunes portent sur le futur. « Electrabel a le monopole mais nous avons l’énergie » dit une jeune interviewée.
Et c’est dans l’éducation et la sensibilisation que sont les clés des changements en cours ainsi que dans la modification des modes de vie et de consommation. Le développement associatif est plébiscité comme voie pour l’action collective bien devant le militantisme partisan.
Quant à la politique, les jeunes se disent en général intéressés voire très intéressés par celle-ci et, en même temps, rejettent ouvertement la politique partisane faite à la petite semaine ainsi que leur dureté. Aussi, ils ne se sentent pas suffisamment formés pour s’investir.
Le portrait est assez proche de celui que trace Guy Bajoit dans cette même édition. Ces jeunes sont les personnes les plus sensibles aux mutations culturelles en cours.
A nous (à eux, à vous) d’en tenir compte.
Lire l’intégralité des cinquante et un entretiens >http://www.iteco.be/David-Julie-Manu-les-interviews