Comprendre l’art africain à Bruxelles

Mise en ligne: 13 septembre 2019

Tradition et modernité africaines au Bozar de Bruxelles, par Antonio de la Fuente

L’exposition IncarNations, à l’affiche au Palais des beaux-arts de Bruxelles, mieux connu comme Bozar, déploie deux cents oeuvres d’art africain dont cinquante pièces d’art traditionnel. D’après les concepteurs de l’événement, les exposer dans ce lieu culturel traditionnel de Bruxelles oblige l’exposition à se confronter avec le cadre où fut présentée il y aura bientôt un siècle, en 1930, une grande exposition consacrée à l’art nègre, tel qu’ on l’appelait à l’époque.

A présent, les six salles du Bozar où se déploie l’exposition prétendent incarner pour les visiteurs une expérience urbaine contemporaine en faisant appel à la réalité d’une grande métropole africaine —Kinshasa, par exemple—, et à l’énergie qui y règne. Il n’est pas inutile à ce propos de rappeler qu’environ la moitié de la population africaine vit en ville et que ce processus d’urbanisation grandissant risque de s’accélérer dans un futur proche.

Tout le parcours de l’exposition est entouré de miroirs qui reproduisent les œuvres à souhait dans l’espace et voudraient rappeler au spectateur que les masques et autres objets traditionnels exposés « ont été créés pour des performances rituelles qui transformaient les individus en incarnations des divinités ».

Un point de vue afrocentrique est ainsi explicitement adopté par IncarNations qui voudrait se démarquer à la fois d’une vision purement esthétisante ou ethnographique pour aller dans le sens « d’une compréhension renouvelée de l’art africain qui transcende les catégories stéréotypées actuelles », selon les dires des organisateurs de l’exposition. Plusieurs rencontres et débats se tiendront à ce propos en octobre 2019 et permettront d’expliciter et d’approfondir cette approche.

En attendant, que voit-on au Bozar ? De l’art traditionnel africain, en effet, des figures sculptées, des fétiches, des masques, des pendentifs, des peignes, des reliquaires. Entourés par des œuvres contemporaines d’artistes africains ou issus des diasporas africaines : sculptures, tableaux, photographies, vidéo-installations. Ces images constituent un espace visuel métissé dans lequel un visiteur moyen —qu’il connaisse ou non l’Afrique— peut reconnaitre aisément les références standardisées, habituellement citées en relation avec le continent africain, ainsi que quelques petits écarts par rapport à ces standards.

Par contre, la manière dont le visiteur peut interpréter ces écarts est probablement un peu moins aisée. Il y a quelque chose d’abrupt ou en tout cas d’insuffisamment balisé dans la proposition, malgré des panneaux informatifs de bonne facture. Mais pour vérifier cette affirmation et en parler, il serait nécessaire de suivre les visites d’une diversité de publics, chose que nous n’avons pas faite.

IncarNations est une exposition conçue par l’artiste Kendell Geers avec le collectionneur d’art Sindika Dokolo, un homme d’affaires congolais qui passe pour être un des Africains les plus riches et dont l’épouse, Isabelle dos Santos, fille de l’ancien président angolais, José Eduardo dos Santos, est encore plus riche. Sindika Dokolo possède plusieurs entreprises en Angola et dirige depuis Luanda la fondation qui porte son nom et est destinée à montrer l’art africain dans le monde.

Dans le catalogue de l’exposition on peut lire que, d’après l’écrivain nigerian Chinua Achebe, le monde est une mascarade dansante. « Si vous voulez le comprendre, disait-il, vous ne pouvez pas rester figé. Le monde est dans un état de flux constant et nous, en tant qu’habitants du monde, devons apprendre à nous adapter, à changer et à bouger ».

Le frottement entre l’art traditionnel et contemporain dans les salles du Bozar à Bruxelles est de nature à nous le rappeler.