« Black Panther » a le mérite de rappeler une Afrique souveraine à défaut de résumer l’Afrique à un concentré de traditions, par Olivier de Halleux
Idris Elba, acteur anglais plébiscité pour reprendre le rôle de James Bond, annonçait en juin dernier sur les réseaux sociaux qu’il n’incarnerait pas le célèbre agent secret. Découragé par les multiples commentaires racistes à son égard, il a préféré se retirer du projet. Des internautes ont effet jugé qu’un acteur noir dénaturerait le personnage créé par Ian Fleming dans les années cinquante. Comme un pied de nez à la « fachosphère », les producteurs du prochain opus informaient quelques jours plus tard dans les médias que l’espion anglais serait finalement joué par Halle Bailey, une actrice métisse américaine. Bien plus qu’une information « people » anodine, celle-ci témoigne d’un racisme latent qui s’exprime avec véhémence sur internet. De fait, il paraît inconcevable pour certains qu’un héros historiquement blanc devienne noir. L’inverse ne se questionne pas, et à vrai dire jamais, puisqu’il y a peu de héros noirs dans les films et séries.
Pourtant, le film « Black Panther », sorti en 2018 et encensé tant par la critique que par le public, fait office d’exception. Il met en scène une Afrique futuriste qui n’a pas connu la colonisation. L’histoire raconte les péripéties d’un héros en quête de rédemption. Nommé T’Challa, la « Panthère noire », notre personnage accède au trône du Royaume de Wakanda suite à l’assassinat de son père. Le Wakanda est un état imaginaire très développé, et à la pointe de la technologie, qui vit en totale autarcie. Son sous-sol est gorgé d’une ressource aux riches caractéristiques, le « vibranium », inconnue par le reste du monde. En tant que Roi, T’Challa a le devoir de préserver ce secret et par conséquent le Wakanda. Mais notre héros va être obligé d’affronter le passé de son père avant de mener bataille contre des factions dissidentes qui souhaitent un autre avenir pour le royaume.
Dans ce blockbuster au scénario conventionnel, on est loin des seconds rôles stéréotypés et de l’Afrique misérable constamment présentée dans des films comme « Blood Diamond » et bien d’autres. Cependant, « Black Panther » laisse encore dubitatif le spectateur attentif. Premièrement, Black Panther contient de nombreux clichés (vestimentaires, esthétiques) sur l’Afrique. Pourquoi continuer à assimiler les communautés noires à des us et coutumes restreintes ? Deuxièmement, l’entièreté du casting (à l’exception de deux personnages), et une bonne partie de l’équipe de tournage, sont composés uniquement de personnes noires.
Comme le titre du film qui se doit de rappeler la couleur du ou des héros. D’autres productions cinématographiques en usent à l’instar de la série « Black Lightning ». Bien évidemment, Black Panther fait aussi référence au mouvement des années soixante sur lequel nous reviendrons. Attention aussi que d’autres titres de film comportant des super-héros noirs ne tiennent pas compte de la couleur de peau ou d’un principe identitaire. Par ailleurs, il n’existe pas de film de super-héros blanc dont le titre rappelle leur couleur de peau. Pourquoi cette insistance sur la couleur de peau ? « Black Panther » serait alors un film avec des noirs pour la communauté noire à l’instar des publicités de sportifs ou de musiciens ciblant cette même communauté ? [1]. Ces questions peuvent paraître faussement polémistes et communautaristes étant donné le succès mondial du film. Néanmoins, elles méritent d’être éclairées dans le contexte actuel du repli identitaire.
Il convient de rappeler que le personnage de « Black Panther » a été créé par l’éditeur américain Marvel au début des années soixante. Durant cette décennie, la communauté afro-américaine se battait pour ses droits civiques et le mouvement politique Black Panther Party, né en 1966, en était le plus vif représentant. À ce propos, le personnage a été pensé avant la création de l’organisation qui se serait inspiré du nom de ce héros Marvel. C’est donc dans un contexte particulier que l’histoire a été imaginée. Le film de 2018 en reprend le scénario, avec quelques ajustements, sans en modifier la teneur. Ce qui explique en partie la présence de stéréotypes qui peuvent étonner de nos jours. Il n’en reste pas moins que l’histoire est encore d’actualité notamment suite aux débordements policiers des dernières années envers la population afro-américaine. Outre le message politique, les fondements culturels évoqués peuvent paraître maladroits tant ils revêtent des connotations fantasmées et exotiques [2].
En effet, pourquoi faut-il nécessairement lier une culture à une couleur de peau ? « Black Panther » est truffé de références culturelles africaines, parfois désuètes, qui sont expressément (indéniablement ?) liées à la personne noire. Que le film remette en cause l’impérialisme colonial est louable, qu’il joue naïvement avec certains clichés l’est moins. Même si l’œuvre présente une Afrique futuriste sous un beau jour, cette représentation héroïque du noir (ou de l’Africain ?) repose encore sur des stéréotypes marqués, comme les scarifications à l’excès ou la symbolique du « Roi nègre » (aucun autre super-héros de l’univers Marvel n’est un roi), qui sont profondément contradictoires avec l’idée initiale du film [3].
A contrario, on pourrait regarder l’œuvre sous un autre angle. La vision anticolonialiste proposée par le réalisateur est intéressante à bien des égards puisqu’elle envisage une ou plusieurs Afriques sans envahissement de celles-ci par les normes et valeurs occidentales. Cette approche permet au spectateur d’aborder les confrontations culturelles et la violence qu’elles peuvent engendrer. « Black Panther » est donc une fiction qui a le mérite de rappeler cette violence par le truchement d’une Afrique souveraine et développée selon ses propres normes. Par ailleurs, cette vision du continent a été accueillie avec enthousiasme par un large public qui a dû s’extraire de ses préjugés. Mais c’est sans compter que cette approche a le défaut de résumer l’Afrique à un concentré de traditions. Et pire, que la personne noire soit associée uniquement à ces dernières. Au travers de ce film, les individus sont finalement limités à une conception de la vie humaine.
Que « Black Panther » développe une fiction assumée avec toutes les références citées n’est en soi pas contestable. Il est néanmoins plus difficile de comprendre pourquoi la représentation de la diversité de nos sociétés mondialisées est si mal filmée, ou grossièrement, comme dans cette production cinématographique. Est-il nécessaire d’exacerber à ce point les traits de l’autre pour le reconnaître ?
Aux États-Unis, le film a attiré 37% d’Afro-américains contre habituellement 15% pour ce genre de blockbuster [4]. On pourrait penser que les studios Disney, producteurs du film, ont sciemment tiré sur la corde du communautarisme et l’ethnocentrisme. Le fait de faire un film avec des Noirs essentiellement pour des Noirs est un coup marketing de génie, et finalement, plutôt intéressé voire perfide.
En mai 2018, la question raciale au cinéma avait été dénoncée par un collectif d’actrices françaises. Sous le slogan « Noire n’est pas mon métier » [5], seize femmes soulignaient qu’elles étaient trop souvent appelées sur les plateaux de tournage uniquement pour la nécessité d’avoir un personnage noir cantonné à un rôle généralement péjoratif. N’était-ce pas aussi une « nécessité mercantile » pour Disney-Marvel de compter que des acteurs noirs dans « Black Panther » ? S’agissait-il d’une stratégie commerciale ou d’une réelle vision progressiste de la société émanant de leur part ?
Finalement, c’est le fait d’inviter une personne à jouer dans un film pour sa couleur de peau qui pose question. Il est certain que les films et les séries historiques doivent représenter au mieux les faits, mais qu’en est-il des autres types de film ? Faut-il constamment réduire une personne à ses traits physiques et à sa condition sociale ou à ses ancêtres lointains ? Superman ne s’appelle pas « SuperWhiteMan ». « Stars Wars » n’est pas une fiction simpliste se basant sur des coutumes et des traditions de l’histoire de l’Occident. Sans abuser de références historiques, on peut toutefois relever quelques rappels du moyen-âge dans ce dernier. Cela étant, ces deux films n’auraient certainement pas été autant rentables (en prenant les dernières sorties, 873 millions de dollars pour le premier et 1.332 milliards de dollars pour le deuxième) sous le titre et la forme promptement esquissés. Au contraire de « Black Panther » qui, avec ses évocations africaines et ethniques appuyées, a atteint un profit de 1.349 milliards de dollars [6] . En aurait-il pu espérer autant si le réalisateur l’avait intitulé « Pantherman » ?
Il est temps que le cinéma, et les médias en général, tiennent compte de la diversité, ainsi que de sa complexité [7], et représentent celles-ci sans artifices ni fantasmes. Une belle réussite récente est la série « When they see us » qui retrace l’histoire vraie de l’emprisonnement injuste de quatre jeunes new-yorkais issus de la communauté noire. Ce qui compte, ce n’est pas la présence de noirs ou de blancs, mais plutôt la représentation de ceux-ci au-delà du fait anodin qu’ils aient telle ou telle couleur de peau. Aussi, forcer le trait, à l’image d’une culture futuriste africaine empreinte de traditions passées, ou s’évertuer à représenter une société racisée, à l’instar des rôles d’avocat pour les blancs et d’infirmières pour les noires [8], ne sont pas des échappatoires puisqu’elles exacerberont les stéréotypes. Et cela est d’autant plus pernicieux si les producteurs et réalisateur affichent clairement un objectif commercial.
Certes, il est particulièrement interpellant de savoir si un film doit représenter le monde, avec ses qualités et ses défauts, ou au contraire tenter d’avancer une autre réalité ? Cela n’omet pas que le cinéma, tout comme les autres médias, véhiculent des représentations ethniques biaisées, voire raciales, fortement ancrées dans la société dont ils ont du mal à se dépêtrer.
[1] C. Moumouni, L’image de l’Afrique dans les médias occidentaux : une explication par le modèle de l’agenda-setting, Cahiers du journalisme, 2003.
[2] D. Bonvoisin, « L’exotisme au cinéma », Media-animation, 2018.
[3] E. Guitard, « Le Wakanda de « Black Panther » : une Afrique du futur en miniature ? », Carnet de terrain, 2018.
[4] P. McClintock, « Box Office : Black Panther Climbs to Historic $242M bow after record monday », The Hollywood Reporter, 2018.
[5] « Noire n’est pas mon métier : des actrices dénoncent un racisme latent du cinéma français », Le Monde, 2018.
[6] Box office Mojo, « All time box office », 2019.
[7] D. Bonvoisin, « Les minorités à l’écran et dans le monde : entre assimilation et intégration », Media-animation, 2019.
[8] R. Khan, « Noires, nous sommes les femmes invisibles du cinéma français », Huffingtonpost, 2018.