Economie ou écologie ?

Mise en ligne: 29 novembre 2007

Est-ce possible préserver le capital naturel et en même temps soutenir l’activité économique ? Propos de Christophe Ducastel recueillis par Xavier Guigue

Les accords de Kyoto visent le soutien à l’activité économique et la préservation du capital naturel. Si l’impact sur les questions des émissions du carbone est dérisoire, ils sont par contre la source d’investissement dans ce qui s’appelle les mécanismes de développement propre. Les pays du Sud, en vendant à des entreprises polluantes du Nord des droits d’émission de carbone, investissent dans des programmes de préservation de l’environnement comme l’amélioration de la gestion des déchets, le passage de l’énergie du charbon au gaz, la plantation de forêts. La hausse du prix du pétrole aidant, il y a une prise de conscience de chacun et des politiques sur le sujet et la preuve que cela est techniquement possible et économiquement viable.

La création de sites protégés est une autre manière de préserver la planète. Sur un plan strictement économique cela est peu « rentable » : l’écotourisme ou bien ce que l’on peut en tirer en terme de réservoir génétique ne permet de faire vivre que peu de personnes sur un territoire donné. Les « services » environnementaux d’un écosystème protégé ne sont pas visibles et peu monnayables. Pourtant ils existent et sont essentiels : par exemple une zone protégée permet d’avoir de l’eau propre. Ce sont ces « valeurs » qu’il faut mettre en évidence et pourquoi pas rémunérer.

Prenons l’exemple de la forêt du bassin du Congo : c’est à la fois un capital à protéger et en même temps une source d’activité économique à travers l’exploitation forestière. Les exploitants forestiers dont les capitaux sont souvent européens ont un double intérêt à préserver leur ressource : ils doivent prouver leur bonne gestion de ce patrimoine pour obtenir des concessions de la part de l’Etat car les Etats ont pris conscience que la forêt est une ressource renouvelable qui se gère sur le long terme. Les entreprises doivent aussi soigner leur image vis-à-vis de leurs actionnaires européens et vis-à-vis des mouvements d’opinion ou des mobilisations écologiques.

Du coup la coopération entre ONG, Etats, opérateurs forestiers et agences de coopération des pays européens est plus facile : il y a dans ce cas convergence d’intérêt pour à la fois exploiter et conserver la diversité. Aujourd’hui, excepté en RDC, la forêt a presque toute été attribuée sous forme de concessions. La mobilisation des ONG a porté sur la préservation de la forêt tropicale et a eu un impact important sur les industriels et les actionnaires européens.

Cela a été progressif : la connaissance de la forêt nécessite un travail de recherche important, la prise de conscience de la complexité de cet écosystème est longue, la traduction en termes législatifs des dispositions à prendre pour préserver la forêt n’est pas facile. Certaines ONG comme WWF y ont participé. Viennent ensuite les mécanismes de financement bilatéraux ou internationaux. Ce lent processus fonctionne plutôt correctement même si certains le méconnaissent et d’autres en profitent.

On peut comparer cette situation à celle des richesses halieutiques : comme la forêt, les poissons se renouvellent, les opérateurs sont privés, la connaissance scientifique des écosystèmes marins ou en tout cas des stocks est bonne, il existe une législation... et pourtant cela ne marche pas. On s’aperçoit que les dispositifs interrégionaux marchent moins bien que les dispositifs nationaux : les contrôles sont plus difficiles et les mailles du filet sont plus lâches. Si les poissons bougent, les bateaux aussi et pas pour les mêmes raisons, les entreprises de pêche jouent avec les eaux. Elles sont moins sensibles aux sirènes écologiques, elles sont plus dispersées et moins coordonnées. C’est donc plus difficile de les montrer du doigt. Les associations écologiques se mobilisent moins et les bailleurs aussi. Chaque Etat a tendance à défendre ses pêcheurs. Le poisson, lui, reste invisible, en eaux troubles. Pour que cela change, il faudra une forte mobilisation, un long apprentissage et une forme de convergence entre la position des Etats, des industriels et des associations.

Autre exemple : le sol. C’est un capital naturel qui est lui aussi renouvelable si on sait le préserver. Selon les systèmes socio-économiques, il est travaillé soit par des entreprises (peu d’intervenants sur une grande surface), soit par des paysans (beaucoup d’acteurs sur des petites parcelles). L’évolution des systèmes de production associée à l’érosion naturelle (vent, pluie...) amène une dégradation régulière des sols et donc du potentiel de production. Et les activités agricoles traditionnelles n’y échappent pas non plus. Le maintien d’une couverture végétale en inter-culture est une des conditions permettant la préservation des sols. Pour des raisons que l’on imagine facilement, les entreprises qui exploitent le soja au Brésil l’ont bien compris. Le maintien de la couverture végétale demande une formation technique et des outils agricoles importants. Les entreprises brésiliennes ont les moyens financiers pour disposer de l’encadrement technique et investir dans les outils agricoles adaptés. C’est plus difficile dans certaines zones agricoles en Afrique où le sol est très usé car il faut trouver des techniques adaptées à ces écosystèmes, aux compétences et aux moyens financiers en présence.