Les réseaux sociaux sont une alternative de diffusion aux médias traditionnels et à la fois occupent des espaces ouverts par ces médias, par Antonio de la Fuente
Les réseaux sociaux sont à la mode, on en parle un peu trop, même, on vous les sert à toute heure, on se dit qu’ils finiront par nous lasser. « Modification des conditions d’utilisation de Facebook, messages racistes sur Twitter, vidéo virale sur Youtube… Il ne se passe pas un jour sans que l’on parle des réseaux sociaux ».
Et comme à la description doit succéder l’analyse, il faudrait en plus comprendre en quoi partager des photos, des vidéos et des mini commentaires avec des gens qui sont, comme vous et moi, devant leur ordinateur ici ou ailleurs, peut représenter une nouveauté significative dans la manière dont les humains communiquent entre eux.
Allons-y. Par le passé, pour diffuser un message les gens devaient atteindre les médias et les convaincre de l’intérêt de la communication qu’ils mettaient en valeur. Rédiger un bon communiqué de presse et espérer que « ça passe ». Ou alors créer un espace de communication alternative sur lequel ils pouvaient directement afficher leurs contenus.
A présent, cette donne a changé et un espace d’autonomie en réseau est relayé à certaines conditions par les médias traditionnels, vis-à-vis desquels il est dans une position de concurrence et de complémentarité. Cet espace, sont les fameux réseaux sociaux.
Où tout un chacun peut diffuser ce qui l’inquiète et le motive, ce qu’il veut bien faire savoir. Et peut aussi par ce biais atteindre et entrer en communication avec des membres de son cercle de connaissances et, même, élargir celui-ci avec des connaissances virtuelles. Mieux, faire écho dans la conscience d’autrui et voir son information relayée et démultipliée au-delà de son cercle immédiat.
Est-ce que ces tendances à l’autonomie et au fonctionnement en réseau sont le produit d’internet, ou serait-ce plutôt internet le produit de l’autonomie et du fonctionnement en réseau ?
Depuis l’éclosion des réseaux sociaux dans le courant des années 2000, les médias traditionnels n’ont pas disparus pour autant. Mais ils ont perdu le monopole de l’accès à l’espace public. Et ils se sont vus déstabiliser par des formes d’expression foisonnantes venues brouiller les canaux traditionnels de circulation de la parole.
Le succès des réseaux sociaux a été fulgurant. Les deux entreprises principales en la matière, Facebook et Twitter, cotent désormais en bourse. Un sixième de l’humanité est membre de Facebook et on pourrait continuer à citer des chiffres mirobolants à leur propos. Les contenus ne sont pas aussi brillants que les chiffres ? Comme a dit Evan Williams, un des fondateurs de Twitter, « on s’en fout des contenus médiocres, quand on a des algorithmes d’enfer ».
Par ailleurs, les réseaux sociaux ont joué un rôle de brise monopole de l’information gouvernementale à l’occasion de mouvements sociaux tels que ceux qui ont déclenché le printemps arabe de 2010. Ce fait d’armes a fait croire rapidement et peut-être naïvement à leur potentialité subversive. Des révélations ultérieures ont montré que les entreprises propriétaires des réseaux sociaux collaborent ouvertement avec les pouvoirs en place en vue de renforcer le contrôle que ceux-ci exercent sur les populations. Parfois pour le meilleur et souvent pour le pire.
Traditionnellement, seulement les grandes ONG avaient voix au chapitre sur la scène médiatique et cela uniquement lors de catastrophes humanitaires conséquentes. Les petites et moyennes ONG devaient se contenter d’une communication horizontale sur des réseaux de communication alternative : la presse associative, en somme.
Depuis l’irruption des réseaux sociaux, ce schéma n’a pas disparu pour autant. Si l’on regarde ce tableau récapitulatif de la présence des ONG belges francophones sur les réseaux sociaux, on voit une correspondance certaine entre le degré de présence médiatique des ONG avant les réseaux sociaux et leur audience à l’intérieur de ceux-ci. Celle-ci est relativement importante pour des ONG de la taille du WWF, Greenpeace ou Amnesty, qui disposent d’un staff de communication professionnel. Pour le restant des ONG petites et moyennes, la présence médiatique et sur les réseaux sociaux est plutôt confidentielle.
Pas de divine surprise à cet égard, donc. La nouveauté vient du fait qu’un certain nombre d’ONG sont apparues dans la foulée de la croissance exponentielle des réseaux sociaux et en quelques mois ont assurée une présence médiatique de taille, via une communication de type marketing et une action de surface. Les cas les plus notoires sont ceux d’Avaaz, d’Invisible Children (et son fameux vidéo Kony 2012) ainsi que le portail de signature de pétitions Change. Ces phénomènes, qui posent question tous azimuts, ont été traités dans une édition précédente de cette publication.
Pour une ONG qui existait avant les réseaux sociaux et qui n’a pas vu sa manière de travailler radicalement modifiée après leur apparition, il est indéniable néanmoins que ceux-ci ouvrent des possibilités de voir leur audience multipliée, ainsi que d’entretenir avec leur public un dialogue fluide et interactif.
A ITECO nous partageons avec des responsables de communication associatifs et d’ONG un atelier de formation aux médias axé sur deux démarches constitutives de toute communication, toutes deux vieilles comme le monde mais qui, comme le monde aussi, se renouvellent sans cesse : la mise en récit et la mise en réseau.
La publicité, la presse et les spectacles audiovisuels ont mis en œuvre une manière de raconter les faits de la vie, de les mettre en récit, qui captive l’attention du public. Nous, associations et public, devons comprendre ce fonctionnement pour avoir des chances de le mettre à profit, voire pour tenter des formes de communication alternative.
La deuxième démarche, la mise en réseaux ou mise en circulation des informations, se voit elle modifiée de manière significative par l’apparition des réseaux sociaux, en suivant un mouvement vers une forme d’horizontalité (tous les récepteurs sont des émetteurs potentiels) ainsi qu’une forme de spirale : les réseaux sociaux sont une alternative de diffusion aux médias traditionnels et occupent à la fois des espaces ouverts par ces médias.
Ils représentent ainsi pour les ONG une opportunité de faire connaître leur action à peu de frais et de l’enraciner dans un terreau d’avenir. D’autant plus que les ONG sont devant le défi de nouer un dialogue avec les nouvelles générations, qui sont nées ou qui ont grandi sous l’emprise de la communication digitale. Les thèmes portés par les ONG et la manière de les aborder ont vu le jour au sein de la culture de ce que Michel Serres appelle le livre et la page [1]. Il leur reste donc à créer des initiatives qui iront de pair avec la nouvelle culture algorithmique dont le philosophe français nous chante l’avènement :
« Cela dit, reste à inventer de nouveaux liens. En témoigne le recrutement de Facebook, quasi équipotent à la population du monde. Comme un atome sans valence, Petite Poucette est toute nue. Nous, adultes, n’avons inventé aucun lien social nouveau. L’entreprise générale du soupçon, de la critique et de l’indignation contribua plutôt à les détruire ».
[1] Michel Serres, Petite Poucette, Editions de Noyelles, 2013.