Selon André Zaleski, présentateur du journal parlé à la RTBF, les ONG pourraient profiter davantage des possibilités existant dans les médias pour faire passer leur message. A la RTBF au moins..., propos recueillis par Andrés Patuelli
La RTBF, il la connaît bien. Dans sa longue carrière professionnelle, André Zaleski à déjà réalisé « tous les métiers qu’un journaliste peut faire à la RTBF », raconte-t-il. Il a participé à plusieurs programmes magazine dans les domaines de l’environnement, Objectif terre, de l’histoire, Jours de guerre, ou de l’économie, Business news . Il a également réalisé de nombreuses émissions « hors grille », où il a « toujours essayé d’intégrer la dimension du développement », ce qui lui a permis de faire des nombreux reportages surtout en Afrique, mais aussi en Asie et en Amérique latine. La coopération et l’altermondialisme, André Zaleski connaît bien aussi. Il a couvert pour la RTBF les manifestations contre l’OMC à Seattle, aux Etats-Unis, et les quatre Forums sociaux mondiaux.
• D’où vient votre intérêt pour le développement ?
• Au début des années quatre-vingt, alors que je travaillais à la RTB, on m’a proposé de devenir l’attaché de presse du Secrétaire d’Etat à la coopération. Mais le premier déclic a été ma rencontre avec Jacques Danois, qui avait été grand reporter pour la RTB et pour RTL. Il avait couvert toutes les guerres d’indépendance, de l’Algérie au Vietnam, du Congo au Biafra. En 1967, lassé de couvrir la guerre en tant que journaliste, il accepte la proposition de l’Unicef de devenir responsable de l’information pour l’Asie du Sud-Est. En 1981, un an avant de rentrer au cabinet de la coopération, j’ai eu l’occasion de réaliser avec lui un magazine pour la télévision au Vietnam, au Cambodge et en Thaïlande. Cela m’a ouvert les yeux sur les problèmes des enfants, mais plus largement sur ceux des pays en développement. Grâce à ces deux expériences, depuis mon retour à la RTBF, en 1983, pour reprendre mon métier de journaliste, mon regard se tourne très régulièrement vers ces pays en détresse.
• Les ONG de développement sont très critiques envers la représentation du tiers monde véhiculée par les médias de masse. Partagez-vous cette opinion ?
• Ne généralisons pas ! Il faut d’ailleurs tenir compte que dans leurs propres campagnes d’information, certaines ONG n’ont pas hésité à utiliser parfois des images misérabilistes pour susciter la générosité du public... Le reproche va donc dans les deux sens. Il est vrai aussi que dans le domaine de l’information il convient de distinguer entre les ONG d’urgence et celles qui travaillent sur le développement, dans la durée. Cela dit, je crois que tant une opération menée par Médecins sans frontières dans un pays qui a subi une catastrophe de grande ampleur, que le travail accompli par les Iles de paix au Mali méritent la même attention de la part des médias, car les deux expériences font partie de l’aide au développement.
• Des études montrent pourtant que c’est la vision misérabiliste qui prime dans les médias...
• Il est vrai que les médias ne montrent souvent que le côté misérable des pays en développement, mais cette analyse vaut surtout pour le journal télévisé. A côté de celui-ci, il existe toute une série d’émissions qui permettent au téléspectateur de se forger une autre vision. Des émissions produites ou coproduites avec la coopération fédérale belge ou avec certaines ONG. La RTBF n’a pas de reproches à se faire à cet égard. Je ne nie pas que la course à l’audience et que les impératifs de minutage limité dans le journal télévisé empêchent d’aller au fond des problèmes. Je ne nie pas non plus que les émissions d’approfondissement passent plutôt en deuxième partie de soirée. Mais on ne peut pas dire pour autant que, d’une manière générale, les médias ne favorisent que l’approche d’urgence, se désintéressant du travail de l’Unicef ou de celui du Programme alimentaire mondial. Je crois que la presse offre aujourd’hui, à qui veut aller plus loin, toute une série de possibilités dans la compréhension de ces thématiques.
• Les informations relatives à des situations d’urgence ont-elles plus de chances de passer sur antenne que celles concernant le développement à long terme ?
• Pour prendre le cas du journal télévisé ou parlé, si un flash dit que telle organisation vient de décider de débloquer X centaines de milliers d’euros pour lancer une opération d’urgence à tel endroit, il est clair que vous n’avez pas besoin d’interviewer qui que ce soit. Au contraire, vouloir faire les choses un peu plus en profondeur passe par une visite sur le terrain ou par une rencontre avec un expert, ce qui demande un investissement en matière de production ainsi qu’une occupation plus longue du journal. Effectivement, si vous êtes dans l’analyse, il vous faut, pour préparer et pour expliquer, plus de temps que si vous êtes dans l’urgence, où un communiqué de presse a, de ce point de vue, plus de chances de passer.
• Les ONG d’urgence ne profitent-elles pas également d’un certain savoir-faire en ma tière de relations publiques ? Ne se montrent- elles pas plus proactives que les ONG de développement vis-à-vis des médias ?
• Je parlerais de réflexe plutôt que de savoir faire. J’ai parfois reproché à des ONG de vouloir faire passer des communiqués de presse sur des situations ou des projets dans une certaine région, qui demanderaient un traitement en profondeur, mais de ne jamais nous prévenir quand, par exemple, un expert revenait de cette région, qu’on aurait pu interviewer. S’il ne faut pas se limiter au communiqué bref, chargé de chiffres, il ne faut pas tomber non plus dans le rapport de 55 pages : le journaliste n’a pas toujours le temps de le lire ! On pourrait s’attendre à ce que les ONG soient plus efficaces dans leurs propositions. Cette difficulté se retrouve aussi dans des organismes du secteur syndical ou dans des agences internationales.
• La hiérarchie et les responsables des médias sont-ils sensibles à ce type de propositions ?
• Une radio ou une télévision n’est pas forcément l’autre mais, pour prendre mon expérience personnelle, il y a, aussi bien au journal télévisé qu’au journal parlé, des membres de la hiérarchie qui ont travaillé en politique internationale ou qui sont sensibles au problème du développement. Avec eux, vous pouvez discuter pour insérer des séquences qui sortent des balises journalistiques traditionnelles : « international », « national », « culture » ou « sport ». On peut aller plus loin. Concrètement, on a modifié la présentation du journal parlé. Sur la Première, chaque grand journal, de 8 h, de 13 h et de 18 h, offre désormais la possibilité de développer certains sujets. On donne l’information brute dans le journal et dix minutes plus tard, on dispose de trois minutes supplémentaires pour l’approfondir. Ainsi, il m’est arrivé de le faire avec la Confédération internationale des syndicats libres, l’Unicef ou Amnesty international. Il y a des créneaux qui s’ouvrent.
• Le secteur du développement est-il aussi important pour vos collègues ?
• Je pense que les gens qui s’intéressent à cette problématique sont proportionnellement plus motivés que ceux qui traitent d’autres types d’information. Cela dit, il ne faut non plus se voiler la face et penser que tout est merveilleux. Lorsqu’il faut trancher entre différentes informations qui ne peuvent pas toutes rentrer dans le format du journal, et c’est souvent le cas, il est vrai que c’est plutôt cette information- là qui sera sacrifiée. L’information nationale, l’information fédérale, la politique des partis, les faits divers, la notion du « mort- kilomètre » joue bien sûr aussi chez nous. Je pense néanmoins qu’il y a eu une évolution positive. Et que dans chaque rédaction, nationale au moins, des gens sont à l’écoute de ces problèmes et proposent à leurs supérieurs qu’on en parle quand même. Il se peut donc que votre supérieur hiérarchique décide qu’il faut passer le papier sur la formation des gouvernements régionaux et communautaires, tout en laissant deux minutes pour parler de la vente de bananes dans les pays ACP ( Afrique, Caraïbes, Pacifique ).
• Quel public suit les émissions d’informations de la radio publique ?
• Je peux supposer que les ONG sont à l’écoute de la RTBF. Certes, en termes d’audience globale, les radios privées nous font fort concurrence, mais je crois qu’il y a une certaine élite -sans vouloir être péjoratif-, l’élite politique et culturelle, qui reste attachée à la RTBF parce qu’elle sait que chez nous l’information aura une certaine profondeur. Il faut en profiter.
• « Messages simples, réalités complexes » : ce slogan, si cher au milieu de l’éducation au développement, est-il réalisable dans les conditions concrètes du travail journalistique ?
• C’est possible, à mon avis. Cela demande peut-être davantage d’investissement, mais c’est la seule manière de rentabiliser l’information. Après tout, le journaliste, qui traite l’information, est aussi un vulgarisateur. En fonction du temps et de l’espace dont il dispose dans un journal, et avec l’aide éventuellement d’une ONG, il doit pouvoir retenir l’aspect de l’information qui a le plus de chances de passer, d’être compris. C’est difficile car le monde est de plus en plus complexe. On vit dans un langage de sigles. On vit dans une période où il faut de plus en plus décrypter. On parle de plus en plus de pays que les gens n’arrivent parfois même pas à situer sur la carte. La mondialisation, c’est aussi cela. C’est d’autant plus vrai à la radio. Il faut donner à l’auditeur quelques pistes pour qu’il ne soit pas complètement perdu ; sinon il décroche.