EDITO

Mise en ligne: 23 décembre 2024

Quand il s’agit de parler de « théâtre et engagement », il y a de tout, mais d’aucuns reviennent aux fondements : le théâtre est d’abord art et pratique artistique ; mais il y a quelque chose de bien curieux et de déstabilisant pour un art que tout le monde, de la plus petite jusqu’au plus grand, peut pratiquer ; que dis-je ? ; toute le monde en fait depuis la naissance. Le nouveau-né qui réclame ce qu’il considère comme un droit – le droit de manger quand son corps ou son instinct lui rapporte avoir faim – ce nouveau-né-là peut rapidement faire du théâtre : faire semblant de pleurnicher, faire comme si il allait se mettre en colère, faire rire pour avoir l’adhésion. Il peut donc parfois osciller entre séduction et pratique théâtrale. On peut même dire qu’il y a quelque chose de l’ordre de l’engagement. Je n’oserai pas le qualifier de politique car aucun bébé n’a jamais pleuré pour revendiquer un biberon pour un collectif de bébés, ou pour un droit qu’il inscrirait dans une vision politique.

Ce côté « grand public » ne lui a pas créé que de la sympathie et de l’élan au sein des élites, certains n’y voyant qu’un art mineur, voire sans grand intérêt. Le contrepoint de cela est qu’il est régulièrement et cycliquement approprié et utilisé comme instrument de lutte sociale et politique, dans différents endroits et avec différents collectifs, groupes, peuples. A certains moments, il a été utilisé par des Peuples d’Afrique de l’Ouest sous forme de rencontres de conteurs (Griots) avec scènes jouées ; ailleurs, dans les zones occupées par l’Empire ottoman, des véritables pièces de théâtre de marionnettes Karagöz étaient utilisées pour partager les problématiques et tenter de les résoudre. Karagöz et Hadjivat sont les personnages principaux de ce théâtre de marionnettes, ils figurent 2 ouvriers en bâtiment ayant occasionné un retard dans la construction d’une mosquée, ce qui leur aurait causé à l’époque – au XVIè s. – de grands problèmes avec le Sultan, et ce qui en a fait 2 icônes du Peuple ; ces 2 personnages étaient d’origines sociales bien éloignées : un fils du « Peuple » non alphabétisé et bien fragile – Karagöz – au langage dur et sec, ayant le bon sens populaire et les proverbes des dominés comme solides références ; un fils de la bourgeoisie – Hadjivat - maîtrisant la langue ottomane des lettrés, utilisant la finesse de la poésie de l’élite. Leurs origines permettaient déjà de « sensibiliser » sur un tas de questions sociales et politiques en faisant rire en période de Ramadan (ou la trêve politique est plus ou moins respectée. Par la suite, les mondes méditerranéens se sont fortement imprégnés de ces théâtres de marionnettes à dimension. Auparavant, dans l’Histoire, il y a eu Aristote et sa poétique, le théâtre d’ombres chinoises, etc. tous les Peuples ont dû avoir « leurs » formes théâtrales y compris à caractère politique. Et puis plus récemment, toutes le formes d’expression du type « conférences gesticulées » se sont revendiquées du théâtre d’éducation populaire et à caractère politique.

Aujourd’hui, cette forme d’expression politique revient en force un peu partout et chez nous, ici en Belgique, aussi. Les noms et les formes sont multiples : Théâtre de l’opprimé, théâtre-forum, théâtre-action, Théâtre invisible, théâtre-image, Théâtre éducatif, théâtre participatif, théâtre militant etc. ces pratiques sont cependant liées par l’idée de faire du théâtre un instrument de lutte pour le changement social.

Nous présentons ce numéro en deux temps : dans un premier temps, ça sera ces Carnets Pédagogiques avec des articles et des fiches pédagogiques, issues de nos pratiques en formation d’adultes. Dans un deuxième temps, paraîtra un numéro d’ANTIPODES, qui présentera des expériences dans différents endroits du Monde autour de théâtre politique. Nous faisons déjà cela ici un peu car nous avions envie de déjà mettre en valeur certaines expériences.

Bonne Lecture !