L’analyse de la demande est bien plus que la réponse à une demande d’un « service type », par Jacques Valentin
L’analyse de la demande est une étape cruciale, trop souvent sous-estimée, dans le processus d’évaluation. Elle est, en tout début de l’opération —nous la considérons vraiment comme partie intégrante de celle-ci—, l’occasion de clarifier toute une série d’attentes et d’exigences, de part et d’autre, qui si elles ne le sont pas, restent de l’ordre de l’implicite avec tous les risques que cela comporte.
Comme dans toute bonne formation balisée d’une commande claire et d’un contrat pédagogique validé, toute bonne évaluation passe par une phase de définition prévisionnelle de la mission destinée à répondre à des besoins qu’il y a lieu d’abord de clarifier. Dans nos termes : le commanditaire passe commande à l’opérateur de l’évaluation via contractualisation après analyse de la demande.
Indifféremment selon le type d’évaluation, les premières questions que formulent les évaluateurs aux commanditaires dans cette phase d’analyse de la demande sont les suivantes : Pourquoi faites-vous appel à nous ? A l’extrême, cette étape peut clôturer l’intervention : le commanditaire dispose en fait des ressources suffisantes pour mener l’opération lui-même. Qu’estimez-vous nécessaire et dont vous ne disposez pas pour que votre situation et vos projets puissent s’améliorer ? En quoi une évaluation peut-elle vous être utile ? En quoi doit-elle vous servir ?
En réalité, cette première étape sert à valider le fait que le commanditaire aie réellement besoin d’un partenaire extérieur pour répondre à ses besoins. Une de nos finalités étant notamment de « rendre acteur », il n’y a évidemment pas lieu d’intervenir pour intervenir... L’évaluation de l’éducation au développement au sens large ( évaluation de projets d’éducation au développement, évaluation organisationnelle de partenaires d’éducation au développement, évaluation continue type suivi-accompagnement de projets ou de partenaires ) est pour ITECO, comme centre de formation pour le développement, une des modalités nous permettant de renforcer les capacités de nos publics. En ce sens, nous menons des missions d’évaluation qui sont à chaque fois des évaluations formatives.
Dès cette première étape franchie, il y a lieu de clarifier les besoins pour en arriver à la construction d’une demande : « nous voudrions évaluer nos activités d’éducation au développement » : oui, mais encore ? Pour en arriver à la description de termes de référence, il y a lieu de préciser par le détail tous les attendus, tenants et aboutissants de l’évaluation que l’on veut mener, quelle en est sa justification, dans quel contexte s’insère- t-elle, quel objet précis souhaite-t-on évaluer et dans quel but ? Une fois l’analyse de la demande effectuée, la proposition de contractualisation reprenant ces différents éléments décrira une proposition finalisée : dans quel taxonomie d’objectifs s’insère l’évaluation ou les projets à évaluer, quelles sont les indicateurs qui seront utilisés, quelles sources seront utilisées ou construites pour en apprécier la mesure, quelle est la forme convenue des résultats attendus, rapport d’évaluation, séances de restitution ?
Une part importante du professionnalisme et de l’outillage méthodologique de l’évaluateur est mise ici à contribution avant toute autre étape opérationnelle de l’évaluation : la demande initiale et l’expression de besoins font faire émerger une offre d’évaluation qui est bien plus que la réponse à une demande d’un « service type ». Pour prendre une image culinaire, l’évaluateur ne propose pas une carte de plats pré-établie, il construit le menu selon la personne avec des ingrédients sélectionnés avec soin.
Si chaque mission d’évaluation est donc par définition chaque fois spécifique, il y a cependant des invariants qu’il y a lieu de préciser et qui retournent de notre déontologie de travail.
Soulignons d’abord l’importance de définir clairement les rôles et statuts de chacun par rapport à l’évaluation : le rôle de l’évaluateur, même s’il lui appartient régulièrement de fournir des recommandations, n’est pas celui de décider à la place du commanditaire suite à la mission d’évaluation. Si certains commanditaires le voudraient parfois ou d’autres au contraire pas du tout, nous tenons à préciser de notre part que notre mission s’arrête à la fabrication de la décision — decision making : éclairages, analyses et pistes qu’apportent l’évaluation—, la prise de décision en elle-même — decision taking : réorientation du projet, suppression de l’activité, nouvelle orientation du programme— appartient aux instances reconnues et définies selon les cas mais en tout cas pas aux évaluateurs. Si les attentes sont souvent importantes vis-à-vis des évaluateurs, nous ne pouvons ni ne voulons en aucune manière « garantir le succès » suite à la mission d’évaluation ou plutôt suite aux décisions qui en découleront. Pour reprendre un titre célèbre de Mara Selvini Palazzoli, le rôle de l’intervenant s’apparente à celui d’un « magicien sans magie » : annoncer le succès est paradoxalement une certaine manière de le rater [1].
D’autres aspects déontologiques importants à clarifier dès l’analyse de la demande et l’établissement de termes de référence sont les principes de publicité [2]vis-à-vis des commanditaires et des différentes parties interrogées et/ou analysées lors de l’évaluation : garantie de feed-back et de confidentialité vis-à-vis de l’extérieur : les responsables de l’activité évaluée sont garants de la communication externe des résultats de l’évaluation.