Miroir, mon beau miroir

Mise en ligne: 17 juillet 2012

L’expérience du Forum des migrants en Flandre et en Europe, propos de Suzanne Monkasa recueillis par Antonio de la Fuente

  • Suzanne Monkasa, vous êtes formatrice en
    communication et développement. Vous
    avez dirigé le Forum des migrants de
    l’Union européenne et vous avez travaillé à
    ITECO néerlandophone à la formation de
    groupes de migrants. Depuis quand des
    formations spécifiquement conçues pour des
    migrants existent-elles et qui a été à leur
    origine ?
  • Le Forum des migrants fut créé à l’initiative
    du Parlement européen au début des années
    nonante. Il était financé grâce à une ligne
    budgétaire spéciale et c’est la Commission qui
    était chargée d’assurer la supervision du
    Forum. A partir de 1993, j’ai été chargée de
    représenter le Conseil des communautés
    africaines en Europe - section Belgique
    (CCAE-B) au sein du Forum. Membre de
    l’Assemblée générale, j’ai été chargée de
    coordonner le Comité des femmes en 1994.
    Elue Secrétaire générale en 1996, j’ai eu la
    chance de collaborer aux travaux préparatoires
    de la Conférence intergouvernementale qui
    avait pour tâche la révision du traité de
    Maastricht. Dans le cadre du droit à la
    formation et à l’information, notre tâche
    consistait, non seulement à la sensibilisation
    des décideurs politiques à l’existence et aux
    conséquences néfastes des discriminations et
    du racisme, mais aussi à l’information et à la
    formation des migrants à leurs droits et devoirs
    de citoyens et acteurs responsables.
    En 1995, le CCAE-B a été le partenaire de
    ITECO néerlandophone pour différents projets
    de formation. Le plus important s’appelait
    « Miroir, mon beau miroir ». Ce projet, initié
    par les membres du CCAE-B, a été réalisé en
    véritable partenariat avec ITECO
    néerlandophone. Il avait comme exigence la
    création d’un groupe mixte, composé
    d’Africains et d’Européens, et a réuni chaque
    semaine pendant quelques mois les mêmes
    personnes, un noyau, donc. Ce fut une
    expérience réussie de dialogue, de recherche
    d’une approche de communication conçue
    comme un processus d’apprentissage et de
    découverte mutuelle. Ce fut une expérience
    extraordinaire de recherche des modes de
    communication où chaque personne s’efforcait
    de trouver sa place en tenant compte de
    l’existence des autres. Cette expérience a été
    renouvelée à Leuven. L’originalité de Leuven
    fut l’élargissement de l’expérience aux
    Marocains et aux Kurdes. L’expérience a été
    renouvelée à Bruxelles avec élargissement du
    groupe aux Marocains et Turcs. Les
    formations ont eu lieu au Centre culturel
    Elzenhof à Ixelles. Le tout a été bien financé
    par la VGC, la Commission communautaire
    flamande.

A partir des années 2000, la Communauté
flamande a fourni beaucoup d’efforts pour que
la population soit sensibilisé à l’importance de
la prise en compte de la diversité dans la
société. De même, des efforts et des moyens
ont été mis en place afin d’encourager les
patrons à engager des migrants, et les migrants
à suivre des formations afin de s’intégrer dans
le marché de l’emploi. Dans ce cadre là, j’ai
été amenée à dispenser des formations aussi
bien aux migrants qu’aux employés chargés de
recrutement ou chargés de convaincre les
patrons d’engager les migrants et surtout ceux
qui sont sous scolarisés. Je ne parlerai que des
aspects relatifs aux migrants. Les formations
avaient ceci d’intéressant : Nous avons essayé
ensemble d’approfondir la connaissance de la
société, les mécanismes mis en place pour son
fonctionnement, les réalités socioculturelles,
les problèmes de communication. Je me suis
efforcée de travailler avec les migrants sur des
méthodologies et des stratégies à construire
soi-même en tant qu’acteurs, afin de faire face
à la discrimination à l’embauche, de ne pas se
laisser installer dans la position de victime de
racisme, d’apprendre à communiquer. Le
problème qui revenait le plus chez bon nombre
de migrants ayant des diplômes
d’enseignement supérieur et d’universitaire,
était de se retrouver à suivre des cours afin de
devenir aide-soignant, nettoyeur, femme ou
homme de ménage. Dans les discussions, les
personnes avaient l’impression qu’en réalité, la
plupart parmi eux passait de formation en
formation et finissait par opter pour s’inscrire
malgré tout dans des cours d’aide soignant ou
de femme ou homme de ménage. Sur le plan
méthodologique, je me suis efforcée d’utiliser
des méthodologies susceptibles d’éveiller ou
de renforcer la capacité d’être acteurs de ce
que l’on souhaitait être et pour cela, de faire
preuve d’imagination afin de trouver des outils
ou des réseaux d’autres personnes capables de
renforcer sa capacité d’être acteur et actrice de
son destin, quelles qu’en soient les conditions
et de porter leurs messages et leurs frustrations
à qui de droit. La tâche n’est pas facile, mais
l’enjeu mérite que l’on y mette tous les
moyens dont on dispose.

En 2002, la Commission communautaire
flamande a voté un décret dont le nom
Evenredige participatie op de arbeidsmarkt
traduit librement veut dire Participation
équitable au marché de l’emploi. Un autre
décret sorti également en 2002 concerne
l’imburgering, le processus qui fait que l’on
devient citoyen et acteur dans la société
d’accueil.

  • Quel regard portez-vous aux différentes
    formations proposées aux migrants en
    Flandre ?
  • Mon expérience m’a ouvert les yeux sur les
    diversités existantes et qui entraînent
    également diversité de réaction de la par des
    migrants. Je ne peux donc pas mettre tout le
    monde dans le même sac. Si je prend le décret
    sur l’imburgering, ce qui me parait intéressant,
    c’est que les personnes qui arrivent reçoivent
    des cours d’initiation très pratiques sur les
    moyens de déplacement, les banques, l’Orbem,
    l’apprentissage de la langue... Mais, à mon
    avis, cette formation gagnerait à être mieux
    ciblée selon les niveaux de formation et les
    bagages dont disposent les personnes. Autre
    remarque, les centres d’intégration chargés
    d’assurer ce travail sont souvent surchargés.
    Le problème dans ces formations, ce sont les
    attentes des personnes qui veulent du travail,
    mais la formation ne conduit pas au marché du
    travail.
  • Et plus loin, dans l’ensemble de l’Europe ?
  • Cela dépend des Etats membres. En Grande
    Bretagne, en 1999, j’ai visité une association
    qui était chargée de préparer des migrants à
    « vendre leurs compétences » dans des
    entreprises, par exemple. Cela avait l’air de
    marcher. L’association était soutenue par les
    décideurs politiques. Pour ce qui est des
    institutions communautaires, des formations
    financées l’étaient surtout en vue de renforcer
    les compétences dans l’associatif. Lorsque j’ai
    terminé mon mandat au Forum des migrants,
    en 2000, il n’était pas question d’engager des
    migrants à la Commission, par exemple. Je
    crois qu’il y en a ci et là, aujourd’hui, mais ce
    ne sont pas des masses.
  • De plus en plus de animateurs de
    formation proposées aux migrants sont euxmêmes
    des anciens migrants. Comment
    voyez-vous cette évolution ?
  • Je suis pour la diversité. Je préfère également
    l’application de la diversité sur ce plan-là. Par
    exemple, une des formules qui marchait à
    merveille à ITECO néerlandophone, c’était
    d’animer une formation à deux : un migrant et
    une autochtone, ou à l’envers, et cela quel que
    soit le groupe qui suit la formation. Organiser
    la formation pour les migrants, c’est une très
    bonne chose, toute la question est de savoir
    pour quoi et pourquoi faire ? Une fois que cela
    est bien précisé et que les uns et les autres ont
    pu échanger sur cela, alors c’est OK.
  • Diversité et renforcement mutuel, donc...
  • On parle de plus en plus en plus de
    empowerment, processus qui vous permet
    d’avoir le pouvoir d’opérer des choix. Ma
    question est dans quelle mesure les formations
    contribuent-elles à donner ou à renforcer le
    empowerment chez les migrants ? Peuvent-ils
    opérer des choix ? Et dans quels domaines ?