Quand la Belgique subsidie la fuite des cerveaux

Mise en ligne: 28 mai 2019

Les écoles belges implantées en Afrique centrale relèvent désormais du secteur privé et non du public mais elles sont toujours subventionnées par la coopération belge, par Tito Dupret

Chaque année, plus d’un demi-million d’euros part de Belgique vers la République Démocratique du Congo, ainsi que le Rwanda et le Burundi. Destination : quatre écoles belges implantées à Kinshasa et Lubumbashi, ainsi que Kigali et Bujumbura.

Lors de l’indépendance de ces pays, ces écoles ont été créées pour scolariser les enfants des expatriés belges à la hauteur des programmes du royaume. Ceci afin d’assurer une transition douce entre ces établissements et un éventuel retour en Belgique. Éventuel ? Plutôt sûr et certain car ces écoles servent désormais de tremplin vers des études supérieures en Europe, en Amérique du Nord et en Afrique du Sud.

Tous les élèves de ces écoles, environ deux mille aujourd’hui, de la maternelle à la fin du secondaire, sont issus de l’élite locale selon des frais d’inscription inaccessibles aux classes moyennes et pauvres ; plus ou moins 1500 euros par trimestre. Et le public a bien changé depuis la création des écoles, comptant désormais beaucoup moins d’expatriés.

Mais à la fin des études supérieures, la vie continue hors de la pouponnière africaine, car les diplômés ne reviennent pas au pays. Un retour ne garantit en effet pas une vie meilleure. Sauf peut-être pour les élites blanches. Une maman revenue à Bruxelles, entrepreneuse ayant jeté l’éponge car se sentant « salie, usée par la corruption » raconte que les seuls diplômés de retour en Afrique sont des blancs qui ont découvert en Occident tous les privilèges qu’ils y ont perdu, comme par exemple « faire du jet ski sur le lac devant la villa ».

Ainsi, la Belgique subsidie ce qui ressemble fort à une fuite des cerveaux locaux. C’est d’autant plus regrettable que les écoles justifiaient leur présence et donc leurs subsides pour y créer une catégorie de personnes instruites et capables d’assurer la prise en main pérenne de leur pays.

Ce qui est encore fâcheux, c’est que cet argent existe pour soutenir des activités « de coopération et de développement en faveur des écoles situées dans leur voisinage ». Mais en consultant les rapports envoyés par chaque école au ministère des Affaires étrangères à Bruxelles, les comptes rendus sont très loin de justifier l’argent reçu.

En fait, le budget de ces activités, généralement assurées par les enseignants expatriés, a surtout pour but de compléter leur rémunération en vue d’égaler celle de leurs collègues belges. En effet, sans ce nivellement vers le haut, comment convaincre des enseignants belges d’aller travailler si loin de chez eux ? Et puis, cette façon de faire est héritée de l’ancienne logique de la coopération belge : l’envoi d’experts pour une assistance technique.

Ce qui est nouveau depuis est donc cette question de fuite des cerveaux. La personne rencontrée au ministère des Affaires étrangères, qui souhaite rester anonyme, assure que ce subside de 530 mille euros est un petit dossier pour lequel le cabinet du ministre n’a ni vision ni réflexion particulière. L’agent dit qu’il n’a donc pas d’avis ni réponse à cette situation. Le dossier suit simplement son cours historique.

À l’origine, l’argent belge couvrait 90 % du fonctionnement des écoles. Avec le temps, c’est devenu 10 %. Un pourcentage dont un ancien directeur en RDC dit qu’il s’en passerait sans problème s’il devait ne plus le recevoir. Il augmenterait probablement le minerval de 10%, c’est tout.

En bref, ces écoles relèvent désormais du secteur privé et non du public. Réserver des subsides de la coopération et du développement pour niveler les salaires d’enseignants expatriés pose désormais question car l’objectif initial s’est perverti.

D’autant plus que l’agent du ministère des Affaires étrangères explique qu’aujourd’hui, l’Association des écoles à programme belge à l’étranger, Aebe, pour justifier les subsides, ne parle plus de coopération ni de formation d’une élite locale pérenne, mais d’un moyen de faire briller la Belgique à l’étranger. Le fond de la démarche a disparu derrière l’image.

Une image pourtant ternie par l’Aebe elle-même car tenter d’interroger Josiane Martin, ex-enseignante de mathématiques à Bruxelles, un temps chef d’établissement à Bujumbura et actuelle présidente de l’association, c’est toujours courir. L’association sert d’intermédiaire entre les subsides belges et les écoles en Afrique centrale, distribués au prorata du nombre des élèves dans chaque école.

Depuis sa présidence, le CA de l’association a bien changé : les procès verbaux et les bilans ne sont plus déposés au greffe du tribunal ou à la Banque Nationale, bien que ce soit obligatoire.

Bruno Hap, secrétaire de l’Aebe, longuement interviewé, est loquace quant à son ancienne position d’un an à la direction des primaires du Lycée Prince de Liège à Kinshasa, il aime également prendre l’accent africain quand il raconte ses anecdotes, mais il est laconique sur le travail de l’Aebe et renvoie à Josiane Martin.

Idem pour Joy Ritter de Zahony. Ancienne manager d’une fonderie de métaux au Rwanda et de retour comme assistante de gestion chez Rothschild, elle occupe le poste de trésorière et coordonne pour l’Aebe le recrutement des professeurs. Interrogée par email sur son travail pour l’association, elle ne répond pas.

En tout état de cause, justifier des subsides de coopération et développement aux écoles belges est devenu difficile. D’autant plus qu’au ministère des Affaires étrangères, la question de l’équivalence des diplômes ne se pose pas. C’est un dossier tenu par un autre ministère, celui de l’Éducation.

Mettre fin aux subsides de coopération et de développement n’empêchera pas ce dernier d’envoyer régulièrement des inspecteurs à Kinshasa et Lubumbashi, ainsi que Kigali et Bujumbura, pour s’assurer du niveau des études et qu’un certificat obtenu là-bas vaut bien celui d’une école située en Belgique. La Fédération Wallonie-Bruxelles donne 125 mille euros pour s’en assurer.

Mais lorsqu’on voit que « organiser l’expédition des épreuves externes d’évaluation, assurer le suivi de la validation des diplômes et être l’intermédiaire entre les missions d’inspection et les écoles » relève de l’incontournable Aebe, on est en mesure de se demander pourquoi cette association préfère le silence à l’opportunité de faire valoir ses activités financées par l’argent du public belge.

De l’argent dont sont privées tant d’ONG que l’on sait très engagées et transparentes.