Un autre commerce est possible

Mise en ligne: 1er juin 2005

Petits succès du commerce équitable face aux énormités du commerce
international, propos d’Angelo Caserta recueillis par Antonio de la Fuente

Angelo Caserta, vous êtes expert en commerce équitable et coordinateur du projet européen d’échanges en éducation au développement DEEEP. La notion de commerce équitable s’installe peu à peu dans la perception des citoyens. Trois Belges sur cinq disent en saisir le concept, soit une augmentation de 50% par rapport à 2003. A votre avis, à quoi doit-on cette avancée ?

• D’abord, on observe partout en Europe une attention croissante des citoyens, des institutions et des entreprises aux thèmes liés au commerce équitable. C’est une conséquence des années de travail de sensibilisation, d’éducation et de mobilisation fait par les organisations de commerce équitable, les ONG, les mouvement sociaux structurés.

Ensuite, en Belgique, la diffusion des produits de commerce équitable dans les supermarchés a permis d’atteindre un grand nombre de gens qui ne connaissaient pas le concept, mais qui partagent les objectifs du commerce équitable.

Finalement, une plus grande attention à la qualité et à la diversité des produits en vente a permis la fidélisation de la clientèle et, donc, un meilleur enracinement du concept.

• La vente de café équitable en Belgique se situe entre 1,5 et 3 % des ventes totales de café. Dans des pays comme la Suisse et le Danemark, la part du café équitable atteint 5 % des ventes. Doit-on considérer ces chiffres comme un petit succès ou comme une preuve de la magnitude du problème ?

• L’un et l’autre. Le 3 % du marché est un succès remarquable, mais ce n’est pas suffisant pour répondre aux attentes des nombreux producteurs. En outre, tous les autres produits ont une part de marché décidément inférieure. S’il est certainement un exemple du succès du commerce équitable, le cas du café peut être aussi trompeur.

• La différence de prix d’environ 10 % défavorable au commerce équitable est le plus grand obstacle à son envol. La suppression des accises sur le café équitable, qui sont de 0,1983 euro par kilo -soit 6 %-, réduirait de moitié cette différence de prix, par exemple, et verrait ses ventes augmenter. Ce raisonnement est-il juste ?

• Non, je trouve que les obstacles principaux sont souvent la qualité des produits, -même si elle s’est beaucoup améliorée dans les dernières années, il y a encore une marge importante d’amélioration-, une certaine préférence pour des stratégies de court ou moyen terme, l’esprit encore fortement volontariste et l’attitude « caritative » qu’on observe surtout dans les magasins de commerce équitable, l’inefficacité et le manque d’efficience du système distributif qui comporte des coûts de gestion importants.
Le prix n’est pas si important, surtout qu’à qualité égale, les produits de commerce équitable ne sont pas forcément plus chers. Beaucoup de gens sont disponibles à payer plus pour un produit éthiquement propre, mais ne le font pas par manque d’offre, autant de produits que de magasins.

En outre, je ne crois pas trop à des mesures préférentielles comme la suppression des accises. Si le commerce équitable veut être une alternative crédible, il faut qu’il soit capable de se mesurer au monde du profit, en acceptant les mêmes règles, plutôt que de chercher toujours l’exception.

• Est-ce qu’une augmentation du volume du commerce équitable augmenterait proportionnellement les revenus des petits producteurs du Sud ?

• Disons qu’une augmentation du volume permet normalement d’intégrer un nombre croissant de producteurs, et donc de bénéficiaires, plutôt que d’augmenter les revenus de ceux qui sont déjà dans le système. En outre, cela offre une continuité aux relations commerciales et donc la possibilité, pour les producteurs, de programmer leur travail sur le long terme.
Par contre, les petits producteurs pourraient bénéficier de meilleurs prix s’ils avaient la possibilité d’entretenir des relations commerciales directes avec les magasins de commerce équitable. C’est le cas, par exemple, en Italie, où plusieurs organisations qui gèrent directement des magasins de commerce équitable ont des relations commerciales directes avec des petits producteurs. Et aussi à Bruxelles, où la chaîne Citizen Dream fonctionne avec le même concept.

Naturellement, quand les ventes deviennent beaucoup plus importantes et que les petits producteurs veulent devenir de grands producteurs, passer alors par une centrale d’importation comme Magasins du Monde-Oxfam-Wereldwinkels est plus efficace.

• D’aucuns affirment que le commerce équitable est un alibi qu’on se donne pour ne pas changer les règles inéquitables du commerce international. Qu’en pensez-vous ?

• C’est peut-être vrai pour des organisations tournées vers le profit qui font aussi du commerce équitable et dont le but n’est pas de changer le monde mais de faire de l’argent (ce qui est tout à fait légitime). Par contre, la grande majorité des organisations de commerce équitable portent des fortes revendications politiques, les organisations belges en sont un très bon exemple.

Pour le mouvement du commerce équitable il s’agit non seulement d’aider les producteurs défavorisés, mais surtout de démontrer qu’un autre commerce est possible, un commerce qui soit respectueux des droits économiques et sociaux partout dans le monde. Donc il s’agit bien de changer les règles du jeu, pour qu’elles permettent aussi aux populations de ce qu’on appelle le Sud d’en tirer des bénéfices.

Quand je parle du mouvement du commerce équitable, je parle aussi des organisations de producteurs. Au début, ils n’avaient comme intérêt que celui de vendre leurs produits à des meilleures conditions. Aujourd’hui les producteurs aussi s’organisent pour faire entendre leur voix et leur revendications politiques auprès des institutions régionales ou internationales, car ils sont conscients que sans un changement des règles ils n’arriveront pas à sortir de la pauvreté ou de la marginalisation économique. C’est une grande nouveauté qui devrait améliorer l’impact politique du commerce équitable.