Le théâtre-action allie ressenti
et compréhension, propos de Paul Biot recueillis par Antonio de la Fuente
Paul Biot, vous faites partie du Centre belge de théâtre-action et vous venez de publier L’engagement international du théâtre-action1. La solidarité internationale fait donc partie des priorités du mouvement du théâtre-action...
• Le théâtre-action a toujours eu vocation à la critique politique, et son histoire, de plus de quarante ans aujourd’hui, est constellée de créations théâtrales qui, très tôt pour exprimer une analyse de cette nature, en ont intégré les aspects internationaux. Il n’est pas particulièrement original aujourd’hui de se rendre compte que la dégradation des dernières solidarités, et les drames humains qui en découlent plongent leurs racines dans les ukases et les valeurs du capitalisme financier. Ce totalitarisme génère imperturbablement des variantes d’exploitation à dimension planétaire avec pour corollaire que leur contestation et la résistance à son emprise se haussent heureusement à ce niveau. L’engagement international du théâtre-action qui s’exprime dans une série de pratiques, de projets transcontinentaux, de compagnonnages d’animateurs de divers coins du globe, etc... que je décris brièvement dans l’article que vous citez, davantage qu’une priorité nouvelle, traduit la pluralité croissante des réponses du Mouvement à la complexification des enjeux. Qu’il apparaisse comme prioritaire me paraît plutôt l’effet de la visibilité croissante du théâtre-action dans un champ culturel de plus en plus rarement préoccupé de cette double dimension politique et internationale, tant il s’attache à privilégier l’apparence, le spectaculaire, l’esthétisme « post-moderne » de l’émotion...
• Parmi les thèmes proposés par les compagnies de théâtre-action le Nord-Sud a une place importante. Est-ce le public qui le veut ainsi ou est-ce une volonté délibérée des troupes de théâtre-action d’aborder ces thèmes ?
• Le premier public des spectacles de théâtre-action est constitué de ceux-là mêmes qui en ont déterminé le projet et assuré la création : les membres des ateliers et leur environnement familial et communautaire... Dans les créations théâtrales qui en émanent et par amplification dans les spectacles « autonomes » réalisés par les comédiens-animateurs des compagnies, une attention particulière est portée à la mise en lumière des mécanismes et des chaînes de causalités. Cette tournure d’esprit conduit à ce qu’apparaissent des parallèles, des contiguïtés entre des situations vécues aux Nords et aux Suds -j’emploie ici volontairement le pluriel- que les médias diffusent le plus souvent comme des faits dissociés, sans cause autre que leur naturelle occurrence. La durée d’une création de théâtre-action, les processus de création collective, la collaboration avec des associations et des ONG impliquées dans la sensibilisation aux questions de mal-développement, permettent d’aborder ces corrélations, de démonter les contradictions... Pour beaucoup, travailler sur la relation Sud-Nord devient de plus en plus souvent une évidence et une forme d’engagement.
• Des troupes du Sud viennent régulièrement en Belgique et en Europe notamment dans le cadre du festival international de théâtre-action. Quel est leur apport et comment est-il perçu par le public et les comédiens-animateurs ?
• D’une part l’apport des nos compagnons du Sud lors des festivals est celui d’un regard non diffracté par la distance ou l’eurocentrisme sur certains effets des politiques du Nord. Nous choisissons en effet les troupes du Sud non seulement en raison du thème du spectacle proposé mais et avant tout pour le travail qu’elles effectuent avec les populations dont elles émanent. D’autre part les débats issus des multiples rencontres entraînées par la diffusion des spectacles apportent aux publics des ateliers - mais aussi aux animateurs -, des « sentiers » de réflexion qui provoquent à leur tour de nouvelles interrogations et des ouvertures imprévues qui nourriront la conscience de chacun ...et peut-être de futures créations.
Le cheminement évidemment n’est pas non plus linéaire ni systématique, mais la conscience qui se construit lentement, dans la durée -qui est aussi le temps de toute création- a plus de chance de persister et de se développer. Les spectateurs vont vivre en même temps les spectacles réalisés ici et ceux qui sont venus d’ailleurs, et de la conjonction des deux naissent souvent -pas toujours, ce serait trop beau- des passerelles et ces parallèles auxquelles je faisais allusion plus haut. L’apport est celui-là : une autre compréhension des choses que dans l’univers médiatique événementiel et ponctuel habituels, et la prégnance que donne la présence vive : le théâtre, celui que nous privilégions, proche des gens, donne à la fois à ressentir et à comprendre. Depuis que nous avons fait du Festival international de théâtre-action une vaste déambulation européenne puisqu’il dure plus de deux mois, c’est cet apport que j’ai le plus perçu dans les évaluations par les publics. Il est vrai qu’aucun autre festival ne rencontre comme celui-là des publics de plus de 80 lieux en Belgique, France, Italie, Luxembourg... et que ce voyage théâtral -et la part essentielle qu’y prennent des dizaines d’associations d’accueil- produit déjà par sa seule existence l’idée d’une conscience plus universelle.