Hier sous-développés, aujourd’hui partenaires

Mise en ligne: 3 novembre 2015

Bon nombre de responsables font des choix pour des gens dont ils ne savent rien, par Augustin Jaykumar Brutus

Je voudrais tout d’abord distinguer la mondialisation du capitalisme sauvage ou encore du néolibéralisme. Pour moi, la mondialisation est une mutation, un aboutissement d’un certain nombre de pratiques. Cette mondialisation se traduit surtout par une intensification d’échanges de tout ordre : d’idées, de services et d’hommes.

On assiste donc à une planétarisation des échanges, à une redéfinition des pôles de régulation. Je pense notamment au rôle de l’Etat. Cette mondialisation est irréversible et, de plus, son contenu n’est pas encore entièrement déterminé. Ces trois points que je viens d’énoncer sont des faits et on ne pourra plus les occulter.

Revenons maintenant au caractère non définitif du contenu de cette mondialisation. A-t-on conscience des impacts ? Mais ce contenu est en train d’être défini et par d’autres. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si cette définition se fera sans nous. Et alors, si on choisissait de s’y mettre, cela voudrait dire pour nous une implication de notre personne. Il faudra intervenir dans les différentes étapes relatives à la compréhension, l’évaluation, l’appréciation, la critique, l’opposition et la construction de ce contenu.

Nous aurions à intervenir dans des luttes. Luttes parce que la définition du contenu à l’heure actuelle se fait à l’encontre de la majorité des populations dans le monde. C’est donc à cette lutte, mais aussi à la construction de cet espace et à la définition de ce contenu, que nous sommes invités, nous citoyens : citoyens qui avons des droits mais aussi des devoirs envers la société, des droits reconnus inscrits dans la Constitution de nos pays.

Cette invitation ne s’adresse pas seulement aux plus démunis et il ne s’agit pas de les pousser dans des luttes de plus en plus radicales, de plus en plus risquées. Cet appel s’adresse à tous les citoyens, car la mondialisation a fait de notre vaste terre un village planétaire, mais aussi une nation-terre. On parle de terre-patrie et Socrate, visionnaire, disait déjà en son temps : « Je ne suis ni grec, ni athénien, mais un citoyen du monde ».

Notre implication à nous tous, entraînera de fait une redistribution des cartes et donc la perte des privilèges injustes de certains. Certains, pour la plupart les plus démunis, occupent cet espace et définissent déjà ce contenu, ils ne nous ont pas attendus. Ils sont déjà engagés avec leurs moyens, très rudimentaires, très précaires. Ils sont engagés dans des luttes au péril de leur vie. Je pense aux luttes des Adivasis en Inde, contre la construction du barrage de Narmada, je pense à ces enfants dalits, ex-intouchables, qui ont marché des jours entiers pour réclamer la construction d’une école. Je pense aussi à ces sansabri en Europe qui ont bloqué des autoroutes pour obtenir leur droit au logement. Et c’est aujourd’hui ces gens-là qui, après avoir été traités de sous-développés, d’illettrés, de population en détresse, de population- cible, de bénéficiaires, sont, dans un langage à la mode, appelés partenaires.

La racine du mot partenaire fait référence à une relation égalitaire. Dans notre cas nous allons parler plus d’équité que d’égalité. Mais se pose alors la question : qui est partenaire de qui ? Si nous choisissons d’être partenaires des populations démunies, il faudra se demander si nous en sommes dignes. La relation de partenariat renvoie d’abord aux personnes, à la personne. Il s’agit donc d’étudier la personne, de nous étudier. Car comme le dit Albert Jacquart : « L’homme est non seulement un ensemble d’éléments, mais l’élément d’un ensemble ». Il y a donc l’être fait par la nature et il y a la personne qu’il ou elle est devenue dans une société. Et il est ici justement question de ce que la personne est devenue. Peu importe notre lieu de naissance, notre origine sociale ; il s’agit de savoir ce que nous avons fait pour nous rapprocher de ces exclus.

Notre connaissance de cet autre, marginalisé, exclu, découle-telle d’un vécu ou d’un savoir livresque, théorique ? Cette expérience vient-elle des exclus proches de nous, des marginalisés de notre société ou d’autres plus lointains ; des sociétés et des civilisations dans lesquelles nous avons du mal à pénétrer à cause des barrières culturelles et linguistiques ?

Et ces mêmes questions se posent à l’institution, l’ONG dont on fait partie, que l’on représente. Et, en cas d’absence de cette expérience, comment vivre seule en tant que personne, en tant qu’institution ? Gandhi disait : « Quand tu hésites à faire un choix, souviens-toi du malheureux que tu as rencontré et demande-toi si l’acte que tu vas poser va le sortir de son esclavage » ? Aujourd’hui bon nombre de responsables font des choix pour des gens dont ils ne savent rien.

Des réponses à ces questions viendront plusieurs éclaircissements :

  • Personnes isolées ou institutions partenaires directes des populations marginalisées.
  • Intermédiaires qui après la mise en contact des partenaires vont se retirer ou encore se fondre avec les exclus.
  • On est, nous gens du Sud, tantôt pris pour des héros médiatiques ou encore pour des grands enfants.
  • Notre savoir, notre apport qui est autre que financier n’est pas pris en compte.
  • L’appui financier se transforme en dépendance quand il ne nous coupe pas de nos communautés, de notre culture ou de nos racines.
  • Ce même pouvoir financier détermine la politique dans les négociations.
  • Conférer le droit à la connaissance, le droit d’imposer des modèles de développement, des concepts, des modes de gestion, des terminologies-écrans pour détourner les questions de fond.
  • Il n’y a pas réciprocité : la transparence, le contrôle, les résultats visibles à produire, les comptes détaillés, les programmations et surtout, l’engagement, c’est pour les autres.

Après les questions, les remises en cause, les critiques, voici des réponses, des propositions, des projets basés sur des expériences. Elles émanent à la fois d’Adecom Network et de la nouvelle structure INDP.

En Inde, nous avons choisi, avec Adecom Network, d’être une ONG d’appui à des ONG de terrain et à des mouvements populaires. Nous assurons notre indépendance financière, et donc politique, grâce à nos rétributions que nous tirons de services que nous proposons : animation, formation, évaluation. Partenaires vis-à-vis des populations marginalisées en Inde, travailleurs agricoles, femmes, tribaux, dalits, notre objectif final est de refaire d’eux des citoyens à part entière.

Pour cela, nous partons des gens : de leur savoir, de leur capacité, de leurs peurs, de leurs limites. Nous nous efforçons de les écouter, de les comprendre, de décoder leurs messages et aptitudes pour les remettre debout physiquement et psychologiquement. Nous offrons des lieux d’expression, de rencontre, des projets pour expérimenter, commettre des erreurs, se confronter, faire des choix, argumenter, prendre des responsabilités.

Il s’agit pour nous de miser sur le processus, le cheminement des expériences plutôt qu’uniquement sur les résultats. Aussi établissons-nous des cadres de réflexion, de travail en laissant place à l’imprévu, à la spontanéité, à l’opposition, plutôt que des programmations et des planifications très serrées. En fédérant les groupes, nous les invitons à la reconnaissance de leurs limites et à la complémentarité chez les autres. Nous développons des formes de travail, des systèmes d’auto-contrôle, des systèmes de recevabilité vis-à-vis des ONG, mais aussi des populations marginalisées, les premières concernées.

Plus spécialement vis-à-vis du Nord, en nous appuyant sur Réseau Adecom et maintenant sur INDP, nous nous efforçons de donner des clés pour comprendre nos situations et nos luttes. Pour affirmer les convictions et les engagements, nous renvoyons les gens du Nord à leur histoire, leur vécu, leur personne afin qu’ils désapprennent, revoient leurs comportements, s’ouvrent à d’autres concepts et logiques.

Pour l’avenir, nous suggérons plus de collaborations, plus rapprochées et plus profondes, qui déboucheront sur des ateliers de travail pouvant déterminer des stratégies et des politiques, la création d’outils d’information et des contenus de formation, la mise en place d’enveloppes financières dont les montants pourront être justifiés après utilisation et la mise à disposition des capitaux de roulement, des réserves, voire même de prêts pour aider à l’autofinancement. Nous serions prêts à étudier ces propositions en profondeur avec les personnes et ONG intéressées, apportant ainsi notre savoir-faire.