Au Congo, les militantes de l’APEF font de l’éducation populaire pour soutenir solidairement des femmes fragilisées, par Myllie Woitrin.
En novembre dernier, lors de la 13e rencontre d’échanges autour de l’éducation populaire, nous avons eu à la chance de pouvoir échanger avec des membres de l’APEF, association pour l’entreprenariat féminin basée à Bukavu, dans le Sud-Kivu, qui met en place des initiatives d’éducation populaire inspirantes. Les trois représentantes de l’APEF en visite en Belgique, Nunu Salufa, présidente et co-fondatrice de l’association, et ses deux collègues ont présenté leur organisation et leur méthodologie.
Dans un contexte politique très complexe, lié aux violences qui secouent la région, l’APEF accompagne les femmes vers l’émancipation en soutenant celles qui travaillent dans le secteur informel et en les aidant à mettre en place des activités génératrices de revenus.
L’APEF forme les femmes vulnérables de Bukavu et des alentours aux métiers du petit commerce, de la couture, de la broderie et de la teinture. L’objectif est d’améliorer leurs conditions d’existence et d’accroitre leur statut économique et social. Mais l’APEF ne se limite pas à dispenser des formations qualifiantes. L’association propose aussi « des formations de participation citoyenne » qui visent à sensibiliser les participantes, dominées dans la sphère domestique et publique, à leurs droits, aux rapports de genre, aux inégalités et à la participation à la vie démocratique.
Nunu Salufa et ses collègues mènent au quotidien un travail d’éducation populaire (sans nécessairement le nommer ainsi). Une des clée de la formation est de transmettre aux femmes les informations nécessaires pour mieux comprendre le monde qui les entourent et les multiples rapports de pouvoir dans lesquels elles sont prises, y compris les rapports de domination hommes/femmes. Il s’agit de mieux comprendre les mécanismes qui régissent le fonctionnement de la société, des thématiques qui touchent directement la vie des femmes comme les mariages, les grosses, les violences domestiques, sont abordés. Un des postulats de la formation est que l’accès à l’information est un ingrédient essentiel pour pouvoir transformer sa réalité. Les impacts de ces formations dans la vie des femmes et les retombées qu’elles suscitent sont multiples, à la fois dans les familles mais aussi au sein de la communauté. Les femmes sortent de l’isolement et sont plus conscientes de leurs droits, ce qui les rend moins vulnérables et à travers les activités qu’elles développent, leur position dans la société est revalorisée.
L’accompagnement de l’APEF et les processus pédagogiques peuvent également mener à des actions collectives comme ce fut le cas récemment lorsque les femmes se sont unies dans une action de plaidoyer qu’elles ont remportée visant à obtenir de l’Etat que leur activité entrepreneuriale ne soit pas taxée durant sa première année d’existence.
Une fois qu’elles sont formées, les femmes sont encouragées à se regrouper dans des coopératives, dans des « unités de productions collectives », des espaces où elles peuvent continuer à chercher ensemble des solutions aux difficultés qu’elles rencontrent et continuer à s’entraider. Ces petits collectifs sont formés de quelques femmes, mais il y en a aussi des plus grands qui regroupent toutes les femmes qui ont un jour suivi une formation à l’APEF.
L’impact de ces formations émancipatrices sur la vie des femmes et des communautés est impressionnant. A l’instar du travail de l’APEF, comment mobiliser l’agir collectif pour transformer la réalité sociale des groupes vulnérables ? Ou plus largement, dans une perspective d’éducation populaire, comment mettre en place des formations qui permettent aux participants de devenir acteurs de changement social et de transformer leur réalité ?
Ces réflexions nous rappellent le travail du sociologue chilien, José Bengoa et du lien qu’il fait entre l’éducation et le changement social. Dans un texte intitulé « l’éducation pour les mouvements sociaux » Bengoa décèle trois postulats principaux pour une action pédagogique visant le changement social : Le premier est une ébauche du projet de société qui sous-tend l’action, le deuxième est une réflexion sur les niveaux de conscience et le troisième est une considération pour les besoins des gens auxquels l’action sociale essaie de répondre.
Le changement social répond au besoin de transformer la société de manière globale, en visant les opportunités existantes au sein du système politique. Il s’agit de comprendre les mécanismes de fonctionnement de la société, les rapports de pouvoir et les idéologies présentes, ainsi que les positionnements des différents acteurs. Il s’agit aussi d’apprendre des méthodes et des stratégies pour changer la société. Les éléments centraux de l’apprentissage doivent être la participation et la réflexion collective. Et Apef mène des actions collectives de conscientisation en vue d’un changement social.