Contre la superstition de l’image et les pseudo vérités statistiques
Un groupe de jeunes est assis à côté de la « Ronde de nuit », le célèbre tableau de Rembrandt au Rijksmuseum d’Amsterdam. Au lieu de lever la tête pour contempler le chef d’oeuvre du maître hollandais ils ont la tête baissée sur les écrans de leurs smartphones.
L’image a bien circulé, affublée la plupart du temps de commentaires scandalisés du type « Où va la jeunesse ? ». L’écrivain Michel Onfray a posté sur Twitter un « sans commentaires » (effacé depuis) lourd de sous-entendus : défaite de la pensée, bêtise des masses...
Il a fallu que le professeur qui accompagnait le groupe explique qu’au moment de la photo, après avoir regardé le tableau, les jeunes lisaient sur leur petit écran des informations sur l’oeuvre que le musée met à disposition du public.
Il n’empêche que ces éclaircissements et la nécessaire mise en contexte n’atteindront probablement pas l’ensemble des personnes qui ont vu passer l’image et l’ont hâtivement interprétée. Même après ces explications certaines personnes continueront à croire qu’elle est la preuve irréfutable que l’excès de médiatisation nuit à tout ce que la vie compte comme valeur : l’art, le savoir, la qualité des rapports humains.
Un peu comme la plupart des manipulations et autres mensonges mis en circulation par des tenants de la « post-vérité » à la Trump qui savent qu’une fois atteint un certain seuil d’audience un mensonge devient une vérité pour des raisons statistiques.
On entend souvent dire d’une image qu’elle vaut plus que mille mots. Mais c’est bien avec des mots que l’on fonde une interprétation valable de ce que l’on voit. L’oeil s’éduque par les mots, dit Régis Debray [1], car l’image ne donne que ce qu’on est capable d’y mettre.
Le monde contemporain a la superstition de l’image-son, écrit aussi Debray [2]. Il prend comme des vertus de l’image ce qui ne sont que des handicaps : elle est impropre à la négation, à l’universel, aux méta-niveaux logiques et aux marqueurs de temps.
Toute image réclame un contexte. Si pour interpréter une situation contenue dans une image on nous propose un contexte pauvre, nous aurons tendance à le compléter sur base de nos présupposés. Méfions-nous des morceaux choisis et des premières impressions, malgré tout.
On le voit, le besoin d’une éducation aux médias se vérifie avec une insistance constamment renouvelée et pas toujours pour les mêmes raisons. Ceci est d’autant plus vrai dans les rapports Nord-Sud, où la dissymétrie qui existe dans la réalité se voit amplifiée par la médiatisation.
Bonne lecture.