C’est la valse des mots au Salon parisien de l’humanitaire : Le mot « humanitaire » a été retenu parce qu’il est le plus connu du public. En y ajoutant « le rendez-vous francophone de la solidarité internationale ». Pour l’édition 2007, le Salon laissera tomber le mot « humanitaire », par Andrés Patuelli
L’évènement, passé presque complètement inaperçu en Belgique, fait pourtant son petit bout de chemin dans le milieu associatif français. Le « Deuxième salon national de l’humanitaire » s’est déroulé entre le 18 et le 20 mai dernier, au parc des expositions Saint Martin de Pontoise, près de Paris. Organisé par l’Association au service de l’action humanitaire, ASAH, il a compté avec la participation de 150 exposants et a attiré presque huit mille visiteurs. Soit 40% d’exposants et 23% de visiteurs en plus par rapport à 2005. A noter également les 15 mille visiteurs uniques qui se sont rendus sur le site Internet du salon dans le seul mois de mai et les 47 mille internautes l’ayant visité sur les trois jours : une augmentation de 57% par rapport à la première édition.
En plus des stands, sur 6 mille m², une série d’animations, de conférences, d’ateliers et de formations gratuites ont eu lieu également. Le salon a, en outre, proposé un espace « recrutement », que ce soit pour s’investir comme bénévole que pour décrocher un vrai contrat de travail : plus de 450 entretiens se sont tenus pendant les trois jours. Côté exposants, si on y trouvait quelques grosses pointures de l’aide d’urgence, la plupart d’entre eux étaient des petites et des moyennes associations. Mais aussi, regroupées dans l’espace « prestataires de services », une bonne douzaine d’entreprises, que ce soit de transport, d’assurances ou de télécommunication satellitaire.
Un drôle de mélange donc ce salon de l’humanitaire, qui pourrait heurter les esprits sensibles. Fallait-il arriver jusque là pour faire... quoi exactement ? De la sensibilisation à la solidarité internationale ou des relations publiques plutôt ? Jean-Marc Semoulin, président de l’ASAH explique que l’objectif du salon est de permettre au public de se faire une idée plus concrète de l’action des ONG, qui leur demandent de l’aide financière. Et à ces dernières, de se connaître davantage et de tisser des collaborations. « Je ne sais pas en Belgique, ajoute-t-il, mais chez nous, le milieu de la coopération est coupé en deux. D’un côté, les grosses ONG professionnelles, qui disposent déjà des espaces d’échange. Et de l’autre, les petites ONG, qui se connaissent beaucoup moins entre elles. Et puis, il y a la séparation entre ONG d’urgence et de développement... ».
Pourquoi donc avoir choisi le mot « humanitaire », lorsqu’on sait qu’il n’est pas très apprécié par les ONG qui travaillent sur le long terme ? Sans parler de « salon », associé, lui, au monde des entreprises ? Jean-Marc Semoulin : « Nous avons voulu organiser un salon, pour mettre l’accent sur le caractère professionnel de l’initiative. Quant au mot « humanitaire », il a été retenu tout simplement parce qu’il est le plus connu du public. Mais nous sommes conscients de ses limites : plus d’une ONG a, d’ailleurs, refusé d’y participer à cause de ce mot ! C’était juste pour que le public puisse suivre. Si lors de la première édition, nous avons invité au « salon de l’humanitaire » tout court, cette année, nous y avons ajouté, en sous-titre, « le rendez-vous francophone de la solidarité internationale » et l’année prochaine, nous allons laisser tomber le mot « humanitaire ».
Le salon, répond-t-il vraiment à un objectif éducatif ? Le Président de l’ASAH en est convaincu. Et ce dans la mesure où les organisateurs ont encouragé toutes les ONG à proposer des actions de sensibilisation, et en mettant gratuitement à leur disposition l’espace dont elles avaient besoin pour ce faire. Le salon ne constitue pas moins une opportunité en termes de relations publiques, en particulier pour les petites associations, précise Semoulin. « Car pour beaucoup d’entre elles c’était la première fois qu’elles étaient sollicitées par la presse. Ceci notamment grâce à un partenariat avec la chaîne Direct8, laquelle a proposé neuf heures d’émission par semaine avant, pendant et après le salon » [1]. Quant aux entreprises, leur présence était souhaitée, affirme Jean-Marc Semoulin, dans la mesure où elles proposent des offres intéressantes aux ONG.
Petit tour d’horizon maintenant du côte des exposants. A commencer par ...les entreprises. Question de satisfaire notre curiosité sur les raisons de leur présence au salon. Seraient-elles purement marchandes ? Eh bien oui. Sans aucun état d’âme, tant leur démarche leur semble légitime. Prenez, par exemple, le bureau parisien de SN Brussels. Fort sollicitée tout au long de l’année par de nombreuses ONG, demandant le plus souvent des conditions spéciales en matière de billets ou de bagages, la compagnie profite du salon pour lancer un programme spécifique adapté aux exigences du « segment humanitaire ». Ayant des liens étroits avec certaines grosses organisations, telles MSF, Médecins du Monde ou Unicef, SN Brussels veut maintenant « faire bénéficier les mêmes avantages aux plus petites structures ». Il est également question de fidéliser sa clientèle.
Même son de cloche dans le stand d’E-Sat. Spécialisée dans la distribution de services et d’équipements de communication par satellite, cette société française profite du salon de l’humanitaire pour présenter un nouveau produit. C’est que les ONG représentent, avec les médias et les entreprises pétrolières, les trois plus importants marchés de ce type d’entreprises. Quant à l’image du secteur privé auprès des ONG, notre interlocuteur n’est pas dupe. « Il est vrai que les ONG n’aiment pas trop mettre en avant les rapports avec les entreprises, nous confie,-t-il. Elles ont néanmoins besoin du secteur privé pour bien faire leur travail ».
Les représentants d’ONG que nous avons rencontrés estiment eux aussi avoir tiré leur épingle du jeu. Le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) est, avec une association wallonne, les seules organisations belges venues au salon. Marc Schmitz sillonne pas mal de foires et de rencontres pour faire connaître et, bien entendu, vendre les publications du GRIP. Ce salon constitue pour lui « une opportunité pour toucher un public potentiellement intéressé au travail de son institution ; un espace pour rencontrer des gens, pour échanger des expériences ».
Isabelle Lanfranconi, de Tourisme for help est, de son côté, la seule association suisse au salon. Cette association basée à Genève et portée par des bénévoles, voudrait mettre sur pied un projet de tourisme solidaire au Cambodge. Isabelle Lanfranconi avoue que ses collègues et connaissances à Genève n’étaient pas très chauds avec l’idée de venir au salon. Elle trouve que « le mot salon est un peu mal choisi. Quand on m’a parlé d’un salon de l’humanitaire, je me suis dit : est-ce que l’humanitaire a besoin d’un salon ? ». Mais à part cela, elle pense que le salon est utile. « Ici il y a du monde, au moins. J’ai déjà été dans des rencontres où il n’y a que deux pelés et trois tondus, où personne n’écoute ce que tu dis. Il faut passer par là aussi pour apprécier la valeur de cette initiative. J’en ai marre de jouer toujours dans la cour des alternatifs ».
Par rapport aux contacts, Isabelle Lanfranconi se dit satisfaite. « Regardez mon stand : il y a plein de gens qui ont l’air intéressé. Mais évidemment on est ici avec un public plus ou moins averti. Il ne faut pas se leurrer avec cette histoire de ‘grand public’. De toute façon, je trouve que l’humanitaire et le tourisme solidaire n’ont pas besoin de grand public. Vous pensez que moi au fin fond du Cambodge j’ai besoin de voir un autobus Neckermann arriver avec 65 personnes d’un coup ? ». Isabelle Lanfranconi n’est, enfin, nullement gênée de côtoyer des entreprises. « Quand je vous parle d’une association de tourisme solidaire, je dois aussi parler de management ».
Quant aux associations françaises, majoritaires au salon, tout le monde semble avoir trouvé son compte. Au moins d’après un sondage réalisé par les organisateurs : 95% des exposants disent vouloir revenir au salon l’année prochaine, et 64% d’entre eux, déclarent que le salon a répondu à leurs attentes. Lesquelles ? Les plus importantes étaient celles de se faire connaître (pour 86% d’entre elles), de sensibiliser le grand public (62%), de partager leur expérience (46%) et d’établir des partenariats avec d’autres associations (43%). En ce qui concerne les associations de commerce équitable et de tourisme solidaire, leurs attentes les plus importantes étaient de vendre leurs produits (86%), sensibiliser le grand public (57%) et se faire connaître (42%). Chaque exposant a accueilli 170 visiteurs en moyenne lors des trois jours.
Ce même sondage nous apprend que 89% des visiteurs du salon étaient satisfaits de leur visite et que 83% d’entre eux se disent prêts à y revenir en 2007. Leurs attentes principales étaient la découverte des aspects de la solidarité internationale peu abordés ailleurs (47%), la recherche d’informations (32 %) et trouver une mission ou un emploi (34%). Dans quelle mesure le salon a pu attirer des personnes qui n’étaient pas déjà sensibles à la thématique de la solidarité internationale ? Jean-Marc Semoulin est conscient de la difficulté de mobiliser le « grand public ». Il met toutefois en avant les avantages de l’initiative pour les associations. « Le salon se veut également un service pour toutes les petites ONG. Pour qu’elles réalisent qu’elles ont aussi besoin de se structurer, de se retrouver dans le collectif. C’est ainsi qu’est née l’animation la ‘planète solidarité’, où toutes les associations étaient invitées à indiquer les points du globe où chacune d’entre elles est présente ».
Au-delà, bien entendu, de la fréquentation du public, les enjeux de cette deuxième édition du salon étaient institutionnels et financiers. L’un des paris, gagnés, a été la reconnaissance de la part du Ministère des affaires étrangères français ainsi que du Service d’aide humanitaire de la Commission européenne. Tous les deux ont soutenu financièrement le salon et y ont participé avec un stand. L’autre enjeu pour les organisateurs était d’attirer davantage d’ONG importantes. Sur la vingtaine d’ONG françaises qui monopolisent 75% du total du budget de l’aide, seulement cinq d’entre elles étaient là. Un échec ? « Pas vraiment, rétorque Jean-Marc Semoulin, car l’année passée il n’y en avait aucune. Quoique leur participation cette année s’est limitée surtout à participer aux conférences. Je crois qu’elles ont besoin de ce que le salon fasse ses preuves avant de se lancer. Cette année nous avons été suivis de plus près par la presse et certaines se sont inscrites au dernier jour en voyant l’ampleur que cela prenait ».
« Ce n’est pas évident de faire un salon comme celui-ci, avoue enfin Jean-Marc Semoulin. Nous avons eu à faire avec des gens qui étaient vraiment contre. Mais, également avec des personnes très haut placées qui nous ont ouvert leur carnet d’adresses, nous permettant des ouvertures fantastiques. Le monde de l’humanitaire est parfois surprenant ».
La prochaine édition du salon de l’humanitaire aura lieu entre le 7 et le 9 juin 2007. Le but étant de le développer davantage sur le plan francophone, pour accueillir plus d’exposants et de visiteurs de Suisse, de Belgique, du Canada et d’autres pays francophones.
[1] Direct8.fr a couvert en direct le salon par le biais des émissions « Nord Sud » et « Solidarité ».