Pourquoi ITECO mène des recherches-action

Mise en ligne: 14 décembre 2017

Connaitre pour agir et transformer la réalité, c’est l’objectif explicite d’une recherche-action

Depuis quelques années ITECO mène des recherches-action —sur la diversité dans les médias, sur les rapports entre l’individuel et le collectif, sur l’émancipation, sur les publics de l’éducation au développement, dont vous trouverez une sélection d’articles dans ce numéro. Bien avant ces recherches-action, d’autres activités s’en rapprochaient dans la mesure où ITECO a toujours cherché à produire un savoir pour l’action.

Ce numéro d’Antipodes-Outils pédagogiques porte sur la démarche de recherche-action et le démarrage d’une nouvelle recherche-action axée cette fois-ci sur la bureaucratisation et la marchandisation. A l’heure où nous mettons en œuvre une nouvelle recherche-action, c’est l’occasion de pouvoir discuter au sein d’ITECO sur ce qu’une recherche-action permet et empêche et de partager cette échange avec vous.

Depuis longtemps à ITECO, des pratiques de recherche, des séminaires et des travaux apparentés ont pour but d’aboutir à des formations. Il y avait donc un lien entre recherche et action, mais les problèmes, souvent formulés de manière large, étaient peu circonscrits. Or dans une démarche de recherche-action il s’agit de connaître avec précision un problème pour essayer de le dépasser.

Il y a eu aussi à ITECO des personnes qui ont prôné une définition plus stricte de la démarche, dans le sens où nous devions remplir des conditions pour pouvoir affirmer que nous faisions des recherches-action.

C’est compréhensible, dans la mesure où au début nous nous sommes tourné vers des thématiques plutôt que vers des problèmes spécifiques. Dans une recherche-action le terrain doit être circonscrit, tandis que nous partions d’une thématique générale et chacun y allait à sa manière en passant d’un terrain à l’autre et en perdant en partie le lien avec un milieu et ses spécificités.

Si on se réfère à la dernière recherche-action sur les nouveaux publics en éducation au développement, la réalité des acteurs investis est différente, les problèmes qui se posent à Bernissart dans le Hainaut, ne sont pas les mêmes que dans les maisons de jeunes à Bruxelles, par exemple.

Nous sommes partis de problématiques générales et du coup nous avons eu trop de terrains et des groupes qui ne sont pas preneurs, ce qui appauvrit la démarche.

D’autre part, en matière de production scientifique il y aura toujours la tension concernant la légitimité de la démarche entre les acteurs sociaux qui réfléchissent à leurs pratiques et les acteurs académiques qui ont parfois un lien distant avec les problèmes pratiques des acteurs de terrain. L’enjeu est d’arriver à combiner ces deux points de vue.

Parfois nos sujets de recherche-action étaient un peu artificiels, pas toujours en lien suffisamment fort avec nos activités.

C’est important de distinguer la recherche-action des activités d’évaluation interne, comme la systématisation d’expériences ou la capitalisation. La démarche de la recherche-action est plus globale et elle concerne des groupes spécifiques à l’extérieur de l’organisation. A présent, par exemple, il y a près de nous la mobilisation des habitants du quartier pour sauver la place Lehon, à Bruxelles. Ce serait un enjeu intéressant sur lequel axer une recherche-action sur la marchandisation : comment privatise-t-on aujourd’hui des espaces publics.

En matière de recherche-action il faudrait donc avoir des vues d’ensemble et les articuler avec des pratiques concrètes.

Oui, et le défi dans ce cas est de voir comment on peut s’intégrer dans une dynamique en cours et faire des allers-retours entre la théorie et la pratique.

Il faut, malgré tout, éviter la dispersion, erreur qu’on a commise précédemment. Jusqu’à présent nous avons ratissé large mais nous avons produit moins de résultats à cause de cette dispersion. Dans une recherche-action l’objet s’impose au chercheur comme une nécessité absolue : il faut trouver une solution à un problème.
La dimension quantitative est importante : par exemple, nous avions l’intuition que ce sont les classes moyennes qui profitent de l’offre de l’éducation au développement, mais nous ne sommes pas allés jusqu’à démontrer ce constat de manière quantitative.

Faut-il le faire, faut-il aller jusque là ?

Oui, parce que le fait d’avoir des réponses précises peut être un levier pour la transformation sociale. L’absence de données quantitatives permet que, par exemple, lors de l’enquête sur l’assise sociale des ONG et de la coopération en Belgique, aucune question n’était posée en termes de classes sociales ou d’origines sociales. De ce fait les ONG continuent à parler du « Belge moyen » comme si une telle abstraction pouvait exister.

Est-ce que faire des recherches-action nous a permis d’échapper aux contraintes de la recherche, dans la mesure où dans le cadre de la recherche scientifique on ne peut rien affirmer tant qu’on ne peut pas le prouver ?

Si c’est ainsi, c’est dommage. Ce sont des mauvaises habitudes que prennent les ONG : faire une dissertation où on ne se bat pas contre ses propres catégories, ses biais de classe, de milieux, plutôt que faire une véritable recherche exigeante. L’objectivation statistique, par exemple, peut aider à produire une sorte de décalage salutaire vis à vis de ses propres a priori.

Le risque de travailler à partir de nos activités et nos liens, c’est de rester dans notre réseau. Une recherche-action devrait nous permettre de changer nos angles de vue grâce à la rencontre des autres et des terrains. C’est une opportunité pour sortir de nos réseaux. Il faut une forme d’égalité dans le questionnement, nous devons nous aussi nous laisser questionner par le terrain, sortir de nos zones de confort.

La recherche-action est devenu un effet de mode, une tendance, un paradigme à suivre. A la base, une recherche-action cherche à résoudre un problème dans une démarche de construction d’une action collective. La production de connaissances et des savoirs est une nécessité pour pouvoir changer une situation en particulier. Le milieu académique récupère et s’accapare cette démarche. On dépossède ainsi les classes populaires d’un savoir pour légitimer des projets développés, par exemple, par le gouvernement au Brésil et justifier des politiques publiques qui ne sont pas favorables aux classes populaires.

Une faiblesse de notre recherche sur les nouveaux publics en éducation au développement vient du fait que, faute d’avoir objectivé les données récoltées, les résultats rendent plus difficile un transfert vers et l’ appropriation par d’autres acteurs pour la mise en place d’actions communes. La question est de savoir commet arriver à documenter des pratiques qui sont importantes pour le mouvement populaire. Je pense qu’on peut le faire d’abord avec le réseau le plus proche, ce qui peut par la suite permettre de « percoler » vers d’autres milieux.

Nous avons détaillé certains obstacles rencontrés dans notre manière de nous approprier de la démarche. Qu’en est-il des avantages de la démarche ?

L’horizontalité. Dans le cadre des formations, l’image du formateur la rend souvent difficile. Aussi, la recherche action rend plus clair l’objectif de mettre sur place un dispositif pour transformer la réalité qui nous entoure.

La recherche-action permet de sortir des impressions et d’analyser des contextes dans lequel on se trouve. Elle donne de la légitimité vis à vis des groupes avec lesquels ont est en contact. Et elle démystifie la recherche comme activité et permet de s’approprier ou se réapproprier des pratiques de production de connaissances.

C’est une manière de se positionner aussi pas uniquement sur des valeurs mais surtout sur des pratiques en lien avec le terrain.

De même qu’elle permet de produire des éléments qui n’existaient pas auparavant et qui peuvent devenir utiles dans le cadre de luttes. Formuler ces éléments nouveaux c’est laborieux mais nécessaire. Cela permet de faire alliance avec des groupes et des milieux.

Aussi, elle permet de se mettre dans une position d’apprentissage, ce qui peut faire émerger de nouveaux savoirs et de les valoriser. Par exemple, la notion de polyphonie des discours des migrants nous est venue parce que nous nous sommes mis à l’écoute de groupes de migrants dans le cadre de la recherche-action sur les publics de l’éducation au développement. La polyphonie est un concept qui existait en linguistique mais qui n’avait jamais été transposé au cadre de l’éducation permanente.

Faire une recherche-action est-ce aussi une forme de résistance à la bureaucratisation et la marchandisation ?

Oui, aussi parce que la plupart des activités que nous menons à ITECO sont payantes pour le public. Mener une recherche-action, offrir des espaces à des publics, c’est une manière d’agir contre la marchandisation des espaces de formation.

Nous sommes souvent dans des démarches qui se rapprochent de la recherche-action, même si elles n’aboutissent pas forcément à une transformation de l’organisation ou à quelque résultat éclatant… Et malgré tout elles permettent de poser des questions importantes pour notre pratique de formateurs ou d’accompagnateurs, ou même de citoyens.

Après, la question est de savoir comment transformer ces expériences avec des groupes de discussion focus groups, ces entretiens, ces récoltes de données et ces lectures en une production. Ce passage n’est pas évident à faire. Il ne faut pas non plus devenir ultra productiviste : même des expériences non entièrement abouties restent disponibles par la suite. De même que le rapport à un savoir populaire valorisé reste toujours présent dans notre travail.