Solidarité protestante n’a plus de financements

Mise en ligne: 19 septembre 2016

Les critères sur lesquels le screening s’est basé sont subjectifs et non vérifiables, propos de Lies Gernaey recueillis par Olivier de Halleux

Lies Gernaey est secrétaire exécutive au sein de Solidarité protestante, ONG chrétienne établie en 1977, active en Afrique dans les domaines de la santé, la lutte contre la violence faite aux femmes ainsi que l’éducation et la prévention.
Quelles sont les conséquences de la réforme sur votre travail de terrain ?

On a dû arrêter des projets et des partenariats et aussi réduire notre travail sur la santé. Par exemple, on avait un projet de lutte contre la lèpre que nous avons dû arrêter. On a donc dû réduire nos projets et nos effectifs.

Votre ONG est reconnue depuis presque quarante ans. Pourquoi n’a-t-elle pas été reconduite ?

Plusieurs raisons ont été indiquées. Le fait qu’on travaille avec des églises et des pasteurs. Deuxièmement, le message véhiculé par notre ONG n’est pas toujours en adéquation avec le message porté par la DGD. C’est pour nous difficile de transmettre les idées voulues par la DGD en Afrique. Car ce n’est pas comme ça que nous concevons le développement.

La réforme a comme objectifs une diminution de la charge administrative, une responsabilité partagée avec les pays partenaires et la mise en place de cadres stratégiques communs pour les ONG. Est-ce que ces objectifs sont conciliables entre eux ? Est-ce que le premier objectif, selon vous, détermine les deux autres  ?

Je ne pense pas que ces objectifs soient conciliables ou du moins de la manière dont ils sont rencontrés. Bien sûr, il y a eu une diminution de la charge administrative mais pour la DGD, et pas spécialement pour nous. Les ONG ont dû se mettre dans les cadres de stratégie communs en rédigeant de lourds dossiers. Cette rédaction demande à ce que du personnel travaille beaucoup. Ces dossiers permettaient de donner une validité de dix ans au programme de l’ONG en sachant que la situation du terrain peut évoluer très rapidement. Je ne comprends pas bien l’intérêt et la vision souhaitée en terme de développement.

La question de la responsabilité partagée est souvent promue par les ONG belges au sujet du financement. Mais, a contrario du gouvernement, elles envisagent d’élargir les portefeuilles et les instruments de financements pour l’atteindre. Ne pensez-vous pas alors que cet argument a été repris par le pouvoir public en défaveur de votre travail ?

Je pense qu’on revient toujours au même problème. Il n’y a jamais assez de fonds et il y a une tendance du gouvernement de diminuer les fonds encore plus. Il y a beaucoup de restrictions dans de nombreux domaines que l’État couvre. Si on prend les chiffres, il y a presque 20% des ONG qui n’ont pas été reprises. C’est énorme. Avant que la réforme ne soit votée, on sentait que le Gouvernement souhaitait aller au bout et rétrécir le nombre d’acteurs. La réforme voulait diminuer le nombre d’interlocuteurs alors que ceux-ci ont les capacités et les compétences pour faire du bon travail. Solidarité Protestante n’a pas été reconnue, juste sur deux ou trois points. Les autorités nous demandaient de remplir des centaines de pages que même les grandes ONG n’utilisent pas. C’était une manière d’avoir une raison légale pour diminuer le nombre d’acteurs.

Vous avez dû diminuer personnel et projets suite à la non-reconduction des subsides de l’État. Quel a été l’impact sur la gestion du personnel ?

Les salaires des employés étaient liés au programme et donc aux subsides de l’État. Tout le personnel a du être licencié sur fonds propres car l’ONG n’aurait pas pu continuer à payer ses employés même avec d’autres subsides publics ou des dons. C’est la même chose pour les grandes ONG. Si elles n’ont pas leurs subsides, la moitié du personnel peut partir. Dans le cas de Solidarité protestante, il y a eu aussi un problème d’anticipation. Je sais que des ONG préparent leur personnel sur base des cycles de trois ans et maintenant de cinq ans. Elles anticipent de la sorte de possibles licenciements en fonction de l’approbation ou non du programme.

J’entends que certaines personnes remettent en doute le rôle des ONG tant au Nord qu’au Sud. J’ai moi-même parlé avec certains congolais qui « n’en pouvait plus de voir des centaines et des centaines d’ONG » s’installer dans leur pays n’apportant pas ou peu de résultats pour la population. Que pensez-vous de cette « lassitude » des habitants visés par les projets d’aide au développement ?

Personnellement je n’ai jamais vécu ou entendu cette lassitude. Chez Solidarité protestante, on ne travaille qu’avec des partenaires locaux. Nous travaillons aussi avec des organisations internationales mais nos projets sont mis en oeuvre par des partenaires locaux qui sont ancrés dans la société. Nous, on est en appui et ce sont des ONG sur place qui travaillent. Ces ONG sont constamment là, contrairement à nous. C’est un travail dans la durée qui est fait par ces ONG locales.

Mise à part cela, je peux comprendre cette lassitude car nous vivons la même chose en Europe sur la question du changement. On a parfois l’impression qu’il n’y a rien qui change même s’il y a bien des éléments qui changent. Parfois, il faut vouloir voir les changements. Je comprends la lassitude au Sud. Mais si nous n’étions pas sur place, qu’est-ce qui se passerait ? Prenons l’exemple de la santé et de notre action au sein de Solidarité protestante. Si nous ne sommes plus là, est-ce que les gens qui ont le VIH vont avoir encore leurs médicaments ? Je conçois que c’est un exemple facile. Mais je veux dire par là que les actions qui visent le changement ne sont peut-être pas toujours visibles.

A votre avis, pourquoi la population ne prend-elle pas en main elle-même ce problème ? Comment se positionner comme ONG par rapport à cette question ? Combien de temps faudra-t-il aider ces populations ?

Je pense que c’est notre mission de le faire. Que ce soit ici ou là-bas. Solidarité protestante a choisi d’opérer en Afrique mais il y a des besoins partout. C’est pas parce qu’on a un gouvernement en Belgique qui fonctionne mieux que celui du Congo par exemple, qu’il n’y a pas de problèmes ici que des associations prennent en charge. Comme l’aide aux SDF, par exemple. Ici aussi le gouvernement n’est pas capable de prendre tout en compte. Je pense que les ONG seront toujours utiles et qu’on n’aura toujours besoin de nous dans le sens où le gouvernement ne pourra pas prendre soin de tout le monde à 100%.

Si les ONG seront toujours utiles, comment envisagez-vous la survie de votre ONG suite à cette non-reconduction des fonds publics ?

On reste positifs. On n’a plus de subsides mais on veut continuer. On doit s’adapter à cette nouvelle situation de non-accès aux fonds de la DGD. Mais cela nous donne aussi des opportunités et de la liberté. Nous ne sommes plus obligés de suivre tous les réglementations et exigences du Gouvernement, qui sont lourdes et ne tiennent pas compte de la réalité sur place. C’est une opportunité pour être ouverts à des autres possibilités
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Vous êtes en perte cette année. La survie de l’ONG sera difficile ?

Oui, c’est clair que c’est une situation délicate qui ne doit pas se répéter sinon on aura des problèmes. Mais nous avons quelques réserves financières qui nous permettent de continuer. Il faut savoir que les plus grands coûts sont passés. On a un peu plus le champ libre maintenant et on peut entreprendre plus de choses. Et se concentrer non pas sur le financier mais sur nos projets, nos partenaires et la population que nous voulons atteindre et aider à améliorer leur quotidien.

Comment voyez-vous le financement des ONG dans l’avenir ? N’était-il peut-être pas nécessaire de réformer l’aide au développement dans la conjoncture actuelle ?

Je pense que cette réforme était nécessaire. Mais je ne suis pas d’accord avec la manière dont elle a été été faite. Qu’on veuille réformer le fonctionnement, je trouve que c’est une bonne initiative. De vouloir réformer afin d’améliorer la coopération entre ONG et le gouvernement est tout à fait louable. Mais les critères sur lesquels le Gouvernement se base sont complètement subjectifs et pas du tout vérifiables. Je reprends l’exemple des documents administratifs. Si le fait d’avoir un papier ou pas prouve qu’une ONG a la capacité de bien faire son travail, alors je ne comprends pas le sens de la réforme. Prenons un cas précis. Un des derniers critères était la vérification des compétences de gestion. Un bureau de consultance et d’audit a été mandatée pour rencontrer les ONG et évaluer la gestion de chacune. Les employés de cette entreprise regardaient si nous possédions ou non le bon document. Ils cochaient ensuite simplement une case sur leur document de travail. Et le fait d’avoir un document déterminait un nombre de points accordé à notre dossier. Et si on’a pas réussi le screening, c’est entre autres parce que les employés chargés de cette analyse ont interprété des choses et ce n’est pas correct. Sur le plan légal, nous étions en ordre. Mais au bon vouloir d’une personne, on vous dit que ce n’est pas bon. Ce n’est pas logique. Sur quoi se basent-ils réellement pour dire que la capacité de gestion d’une ONG est bien ou pas, si on rencontre les dispositions réglementaires ?

Je prends un autre exemple. Notre ONG devait présenter un document reprenant le personnel avec la mention de l’âge, le niveau et le poste. Notre ONG avait à l’époque trois membres du personnel. Ce type de document ne sert donc à rien. Une ONG qui compte mille personnes, je comprends l’utilité de ce document. On a donc coché qu’on avait pas ce document, car on n’en a pas besoin, et ça a joué en notre défaveur. A quoi sert ce document pour une petite structure ? Qu’est-ce que cela prouve ? C’est comme si je faisais un tableau excel avec mon nom, mon âge et mon poste. Et c’est tout. Une simple ligne puisque je suis la seule employée maintenant.

La réforme était nécessaire mais elle n’a pas été réalisée de la bonne manière. Du coup, je me demande si l’État a aussi regardé de son côté. Si on voulait bien nous évaluer, on aurait du nous considérer autrement et pas comme une entreprise qui veut faire du profit. On ne peut pas appliquer une stratégie de gestion d’entreprise, comme elle a été présentée, sur nos réalités.

Pour une autre réforme, il faut encore plus de synergies entre les ONG. Il faut travailler sur le terrain mais pas seulement car c’est nous épuiser pour rien. Il faut aussi se faire entendre auprès des gouvernements. Les deux champs de travail sont liés. Faire du « lobbying social » avec certaines ONG qui ont les capacités tout en continuant le travail de terrain. Solidarité protestante a l’expertise du travail de terrain et ne pourrait se destiner au lobbying. Je ne vois pas le sens de s’orienter vers une spécialité dont nous n’avons pas les compétences. Ce serait trop risqué et ce n’est pas notre but de faire pression sur les gouvernements. Nous soutenons et nous appuyons sur les ONG qui ont les compétences et les connaissances pour. Il faut les forces de tous.